Des « licenciements boursiers » au labo Imprimer
Jeudi, 05 Décembre 2013 07:00

Equipés d’un mégaphone, de sifflets ou encore de maracas, la petite cinquantaine de blouses blanches du laboratoire IPL Atlantique a fait du bruit, hier après-midi, devant le tribunal de commerce de Bordeaux. A quelques pas de là, derrière les prestigieuses façades de la place de la Bourse, une grande partie de leur avenir était en train de se jouer.

Ce laboratoire, installé au grand parc et chargé notamment de réaliser des analyses pour l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Gironde ou l’agence de l’eau Adour-Garonne, a été placé en redressement judiciaire le 12 juin dernier. Le PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) mis en place prévoit le licenciement de 35 des 84 salariés.

Hier, le tribunal devait décider de prolonger la période d’observation, dans le cadre du redressement judiciaire, ou de procéder à une liquidation. « La délibération ne sera connue que tard dans la nuit, expliquait hier soir Nicolas Gaspard, délégué syndical Sud Chimie au sein de l’entreprise. Mais on se dirige vers un prolongement, sans doute de six mois, de la période d’observation. Tout le monde semble d’accord pour ça. En attendant, le juge commissaire doit valider les licenciements. On pense que les lettres partiront en janvier mais on compte aussi sur une démarche que nous venons d’engager devant le tribunal administratif. Celui-ci pourrait surseoir et arrêter la procédure de licenciements.»



Un rachat en 2011

Cette impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui IPL Atlantique, beaucoup de salariés la craignaient depuis longtemps.

En octobre 2011, l’ex-laboratoire municipal de Bordeaux a été racheté par le groupe Eurofins. Ce géant mondial des analyses scientifiques, qui repose sur des capitaux français mais dont le siège social est au Luxembourg, devrait réaliser cette année un chiffre d’affaire de 1,4 milliards d’euros et un bénéfice net supérieur à 200 M€. Pourtant, c’est depuis qu’il a été intégré à ce mastodonte européen que le laboratoire IPL Atlantique est en proie à des difficultés économiques. « Chaque année, Eurofins nous oblige à lui verser 650 000 à 700 000€ de frais de supports (frais liés au marketing, au service juridique, à la comptabilité, etc.), explique Christophe Vinghes, secrétaire adjoint du comité d’entreprise. Sans ces frais, nous serions bénéficiaire depuis trois ans. En même temps que nous, 16 autres laboratoires avaient été rachetés en France. Partout, les activités d’analyse ont été recentrées, regroupées, il y a eu des licenciements et les laboratoires n’ont conservé qu’une relation clientèle et des préleveurs, soit environ une dizaine de personnes. On pense que c’est ce qui nous attend.»



Des analyses effectuées à Nancy ?

Selon Nicolas Gaspard, la stratégie d’Eurofins consisterait effectivement à faire du laboratoire bordelais une coquille presque vide : « le groupe ne s’en cache pas, ce qui se passe en ce moment n’est qu’une étape et après ça, il y aura une deuxième vague de licenciements. L’intérêt de toute cette manipulation est uniquement boursier. Ils veulent concentrer le marché sanitaire sur une grande entité. A terme, ils ne conserveront qu’une quinzaine de personnes et la grande majorité des analyses ne seront plus réalisées ici mais envoyées dans l’Est, vers Nancy. Leur but est de rafler l’ensemble du marché des ARS français avec des prix bas et de tuer la concurrence des laboratoires régionaux et départementaux. Ils veulent se partager le marché avec leur principal concurrent, le groupe Carso, et augmenter les prix quand ce sera fait.»
Le syndicaliste espère toutefois que la volonté de gros clients, comme l’ARS et l’Agence de l’eau, de voir leurs analyses réalisées localement perturbera ce dessein. « Le projet d’Eurofins n’est pas viable, estime-t-il. Ils pensent conserver le même chiffre d’affaires en sous-traitant. Mais les clients ne veulent pas que leurs analyses soient effectuées à 900 km d’ici...» •

OSF

Photo : Près de cinquante salariés du laboratoire IPL Atlantique étaient rassemblés hier devant le tribunal de commerce de Bordeaux © OSF