Mixer les populations : c’est l’objectif que s’est fixé la réalisatrice pessacaise Clémence Bajeux pour son prochain film « En silence ». Vendredi dernier, cette jeune femme donnait rendez-vous à ses comédiens au Forum des Arts et des Lettres à Talence pour tourner les dernières séquences de ce moyen métrage, dont la première projection publique aura lieu le 7 mars.  

D’une durée de 35 minutes environ, ce film a la particularité d’être interprété par des comédiens amateurs mais aussi par des patients en centre hospitalier et des personnes issues du SEPAJ (service éducatif polyvalent d’activités de jour) de l’association laïque du Prado qui accueille des jeunes en difficulté sociale, éducative et psychique. « Chaque année, le comité culturel du centre hospitalier de Cadillac lance un appel à projets. Il y a quatre ans, j’ai fait valider un film avec des patients de l’hôpital de jour de Lormont. Depuis, on fait un film par an avec Clémence », explique Sylvain Roche, infirmier à l’hôpital de jour de Lormont et référent culturel de l’hôpital de Cadillac, à l’initiative du projet. « Il y a sept ans, je servais de modèle photographique pour Sylvain et une forte amitié est née entre nous », raconte Clémence Bajeux. « A l’époque, je me cherchais, je faisais des études de droit puis j’ai bifurqué en arts plastiques. Sylvain m’a alors proposé de faire un film avec des patients en psychiatrie. J’ai dit oui car ce milieu m’intéressait, j’ai une attirance pour les rencontres authentiques ».

Changer l’image de la psychiatrie

A 27 ans, Clémence Bajeux a déjà les épaules d’une vraie réalisatrice expérimentée : la semaine dernière, elle dirigeait ses comédiens avec un sérieux et une concentration exemplaires qui en disent long sur son professionnalisme. « Sylvain,  je vois ton bidou dans le champ ! », lançait-t-elle à son ami. Depuis son court-métrage « Black Out » jusqu’à sa mini-série « Echec et Mat », diffusée au cinéma Lux de Cadillac et à la Villette de Paris dans le cadre des Rencontres Vidéo en Santé Mentale, en passant par son film « Human Fantasy » en 2011, la cinéaste est habituée à tourner avec des patients en psychiatrie. Mais pas question de stigmatiser ces acteurs: « Je veux avant tout faire des films de fiction, peu importe d’où sont issus les comédiens ». Pour « En silence », son 4e film, elle souhaitait « davantage de dynamisme » en intégrant au casting des jeunes du SEPAJ et des amateurs de comédie. « Je voulais un vrai mixage d’acteurs qui se voit à l’écran. Pour cela, il fallait un échange entre les comédiens ». Pour Sylvain Roche, ce film sert aussi à « changer l’image de la psychiatrie, surtout à Cadillac, où on dit que c’est l’hôpital des fous. Le but est de faire des patients des acteurs de quelque chose, acteurs dans la culture».

« Ça nous fait voir autre chose »

« En silence » raconte l’histoire de Jo, dont le père vient de mourir et qui décide de reprendre la pièce de théâtre qu’il préparait avant sa mort. Au final, 18 acteurs se sont donnés la réplique. Le tournage a duré une quinzaine de jours et s’est déroulé de septembre à décembre dans plusieurs villes de la Cub (Bordeaux, Lormont, Talence, Bègles...).  « Au début, les acteurs restaient dans leur coin mais ils se sont vite adaptés », note Clémence. Du côté des comédiens, ce film représente une belle expérience. « C’est la 1ere fois que je tourne un film, j’oubliais parfois mes textes mais on a bien rigolé », avance Samantha, 19 ans, issue du SEPAJ. Pour Pierre, 54 ans, atteint d’une maladie au cerveau, « le plus dur a été de retenir les textes. Mais le tournage nous fait voir autre chose que l’hôpital », avoue-t-il. « Ça fait penser à autre chose qu’au travail », note Fléria, 18 ans, qui « travaille en cuisine » au SEPAJ. « Quand je suis arrivée, je n’ai pas répéré tout de suite qui étaient les comédiens malades. C’était un tournage désintéressé, sans esprit de compétition », note Cynthia, 32 ans. En tout,cas, tous sont partants pour un nouveau film.• EM

Clémence Bajeux sur le tournage d’« En Silence » avec Pierre (à g.) et Sylvain Roche (à d.) ©  EM