Abd Al Malik : « Rap et electro, des musiques sœurs » Imprimer
Mercredi, 06 Avril 2016 06:00

Percutant, et pas que dans le flow, le dernier album d’Abd Al Malik. Et pour cause : « Scarifications », c’est la rencontre au sommet entre le rappeur-slammeur et l’immense producteur et DJ vétéran de la techno Laurent Garnier. Entretien à la veille de son passage au Rocher de Palmer, ce jeudi.

 

Comment s’est monté ce projet avec Laurent Garnier ?
Comme toujours avec ma manière de travailler : je me laisse porter par la vie. Oui, pour mes albums, j’ai quelques producteurs de prédilection mais, là, c’était un peu le hasard. Laurent et moi, on s’était rencontrés il y a dix ans, lorsqu’il était passé voir un de mes concerts. Il y a deux ans, quand je travaillais avec mon frère sur mon film « Qu’Allah bénisse la France » dans le quartier Neuhof de Strasbourg où on a grandi, on a repensé à toutes ces nuits passées dans les clubs en Allemagne – c’est là qu’on a découvert la house, la techno, l’eurodance… Pour que la bande-son nous replonge dans cette époque, on imaginait donc de l’electro et on a proposé l’idée à Laurent. Ça lui a plu, tellement que, finalement, de quelques titres pour une musique de film, il s’est retrouvé avec un matériau suffisant pour faire tout un album !

La presse a pas mal mis en avant un côté « inédit » de cette rencontre electro et rap. Pourtant, le hip hop a toujours été, dès ses débuts et jusqu’à la trap d’aujourd’hui, irrigué par les musiques électroniques, non ?
C’est vrai, il y a toujours eu un lien étroit – pensez à « Planet Rock » d’Afrika Bambaataa et son sample de Kraftwerk, dès 1982 ! Le rap américain des années 1980-1990, il marchait aussi beaucoup à coups de remixes par des producteurs de Chicago house ou d’electro. En France, MC Solaar a dès le début fait appel à Boom Bass, devenu la moitié de Cassius, il y a eu DJ Mehdi… Et nous, gamins, on écoutait les deux, les passerelles nous paraissaient naturelles. Les médias ont voulu catégoriser les choses, disant que tel style s’adressait à tel ou tel public mais la séparation est artificielle. Ces deux musiques sont plus que cousines, elles sont sœurs.Aujourd’hui, on assiste à un “revival” de ce mélange des genres, avec des Kanye West, Pharell ou Gesaffelstein.

Après, la trap, j’en écoute, forcément – le hip hop c’est ma musique – et j’aime ça, certains font ça très bien. Mais je regrette que le courant se soit tellement uniformisé. Je viens d’une école du hip hop où chacun devait avoir son propre style, être leader et pas suiveur…

Ce qui frappe dans l’album, en plus de la musique, c’est le côté sombre des lyrics. Que vous parliez de votre jeunesse, d’amour, ou du monde d’aujourd’hui…
Là encore, rien n’est calculé. À chaque fois, mes textes sont comme une photo de mon état émotionnel du moment. Ceux-là ont été écrits alors que je me replongeais dans mon passé, mon parcours de vie, avec le tournage du film et ça se retrouve naturellement sur le disque.

Après, il y a aussi l’époque qui veut ça. L’idée est d’abord de ne pas être dans le déni : on vit une période difficile, sombre, complexe. Et il faut accepter de remettre de la complexité dans un mode de plus en plus en noir et blanc. Mais dans le titre de l’album, « Scarifications », il y a aussi la volonté de montrer qu’on peut magnifier ses cicatrices, y trouver une beauté. Elles montrent qu’on peut transcender toutes les épreuves, et que nous sommes tous des survivants. Pour ça, il ne faut pas se laisser contaminer par l’obscurité, on doit la surmonter. Chacun de nous est porteur de lumière.

Un petit mot du live, pour finir : avec toutes vos influences, entre les anciens titres et les nouveaux, est-ce facile de monter un concert homogène ?
Ça fait partie du job artistique ! Cette fois, j’ai voulu vraiment amener quelque chose de singulier, de jamais vu. Je ne peux pas en dire trop, mais j’ai imaginé un show entre le concert de rap, la rave party et l’installation d’art contemporain, en faisant appel à des artistes vidéo pour repousser les limites esthétiques du hip hop. Avec l’ambition de créer une œuvre d’art total, bouleversante émotionnellement parlant, pour montrer que le hip hop reste l’art du XXIe siècle. •

Recueilli par Sébastien Le Jeune

Demain, à 20h30 au Rocher de Palmer (Cenon), avec Pierre Kwenders en première partie, 25-27€ en prévente, 29€ sur place. www.lerocherdepalmer.fr

Photo : « Nos cicatrices montrent qu’on peut transcender toutes les épreuves, que nous sommes tous des survivants » © Fabien Coste