Emily Loizeau sauvée des eaux : l'interview avant son concert à Floirac samedi Imprimer
Mercredi, 12 Octobre 2016 05:00

Insaisissable Emily Loizeau, électron libre de la chanson. Après l’apaisé « Mothers & Tygers » en 2012, la Franco-Britannique nous est revenue en mai dernier avec un très singulier « Mona ». Un album qui vous prend aux tripes, qu’elle viendra défendre ce samedi 15 octobre à la M.270 de Floirac. Entretien.

 

« Mona », au départ, c’est écrit pour un spectacle. Ça raconte quoi ?
En effet, c’est la B.O. d’une pièce que j’ai créée au Centquatre parisien où je suis artiste associée. C’est le journal de bord d’un bébé né vieux, un peu punk et blasé de la vie, et qui souffre de potomanie, un besoin inextinguible de boire. Et on suit son parcours ballotté d’institution en institution, où son état est jugé désespéré, où les médecins se succèdent avec leurs diagnostics toujours plus improbables. En parallèle, il y a cette autre histoire d’un marin de la Navy pendant la Seconde Guerre mondiale, dont le navire est coulé au large de la Crète. Il survit et écrit à son enfant à naître, avec l’espoir de lendemains meilleurs.

Il y a donc deux histoires qui dialoguent, la métaphore de la noyade de l’esprit humain répondant à celle du navire qui sombre. Le tout forme une sorte de fable, une manière fantasmagorique de raconter le réel.

Pour ceux qui vous connaissent avec des chansons plus légères comme « Sister » ou « Jalouse », ça paraîtra bien sombre. C’est qu’il y a une base réelle derrière…
Tout à fait. Pour le marin, je me suis inspirée de la vraie histoire de mon grand-père. Quand à l’enfant, il est né dans mon esprit après toutes les années que j’ai passées à suivre, à soutenir ma mère elle-même atteinte de troubles psychiques, elle aussi passée devant une foule de médecins impuissants. Ce que ça dit, finalement, c’est la solitude de ces gens mis face à la maladie et à la brutalité du monde psychiatrique, ceux qui en sont atteints et ceux qui les aident. C’est difficile pour eux de trouver une place dans notre société qui accepte mal la différence. Le sujet est très tabou mais, après être passée par là tant d’années, je ne pouvais pas taire ça.

Pourtant, tout n’est pas si sombre. J’ai voulu une histoire à la fois tragique et drôle, avec une écriture caustique, un peu BD, un peu trash. L’enfant de l’histoire a quand même un naturel extrêmement drôle, une vraie soif de vivre. Tout le disque est comme une quête de lumière – s’il est gris, c’est d’un gris joyeux. Et s’il devait contenir un message, c’est qu’il faut s’efforcer de sublimer nos tragédies, construire avec, en faire des feux de joie, plutôt que de se laisser noyer dans la douleur…

Côté son, pourquoi avoir délégué la production à quelqu’un d’autre, une première chez vous ?
Pour obtenir une atmosphère un peu différente. J’ai voulu garder les sons organiques qui font ma marque de fabrique – avec toujours les mêmes musiciens, Olivier Koundouno au violoncelle et Csaba Palotaï à la guitare. Mais je voulais les pervertir un peu, y introduire une fêlure et, pour ça, faire appel à Renaud Letang [producteur pour Souchon, Boogaerts, Gonzales ou Émilie Simon entre autres, ndlr] sonnait comme une évidence. Il travaille de façon très instinctive, très animale, avec un résultat fin, pointu. Il a parfaitement su respecter l’esprit de mes maquettes originelles, tout en y introduisant sa science des rythmiques industrielles minimalistes et des distorsions sonores. Pour moi, c’était le bon moment, après avoir écrit le spectacle, de me laisser porter… et d’apprendre de lui.

Ce genre d’album un peu concept, ce n’est pas le cauchemar d’une maison de disque ?
Pas quand on lui livre 13 chansons clés en main. Avec en plus un background facile à défendre : la B.O. d’une pièce, c’est de la matière vive pour en parler, en faire la promotion. Comme la pièce était déjà créée, le boulot était déjà fait… Non, vraiment, je n’ai rien eu à faire pour la convaincre. D’autant plus que j’ai toujours eu la chance d’être très libre de ce côté-là.

Et puis, vous savez, c’est un album mais avant tout 13 chansons indépendantes. Chacune à sa manière raconte une histoire, mais chacune fera voyager chaque auditeur dans son propre imaginaire, et c’est ce que j’aime dans la chanson. C’est pour ça qu’elles s’intègrent bien dans le set qui tourne en ce moment, où je reprends aussi des titres d’avant – même si j’explique un peu quand même l’histoire de « Mona » aux spectateurs… Quant au spectacle « Mona » lui-même, il devrait partir en tournée à l’automne prochain. •

Recueilli par Sébastien Le Jeune

Samedi à 20h30, à la M.270 de Floirac, 20-23€. Réservations via www.rockschool-barbey.com

Photo : Avec le très intime « Mona », Emily Loizeau signe une charge contre la violence de l’univers psychiatrique © Micky Clement