Rock School Barbey: 25 ans et toutes ses dents Imprimer
Mercredi, 26 Juin 2013 07:00

Ce mercredi soir, la Rock School Barbey fête en beauté 25 ans d’activisme au service du rock, avec une grande soirée gratuite. L’occasion de revenir avec son directeur Éric Roux sur ce trépidant quart de siècle. Histoire, mais aussi bilan et perspectives : le grand entretien.


Quand vous avez à faire vos discours pour parler de Barbey et de sa Rock School, souvent vous démarrez par «Tout a commencé en 1979 à Sauveterre-de-Guyenne…» Vous pouvez me la faire en vrai ?

(Rires) Tout a commencé à Sauveterre (rires)… Oui, c’est vrai, il faut repartir de là ! C’était donc à la fin des années 1970, dans l’Entre-deux-Mers, on était une bande de copains qui avions envie d’organiser des concerts de rock. Parce que là-bas, en dehors de bals avec discomobile… Avec, déjà, Le Grand (surnom de Patrick Bazzani, actuel directeur administratif de Barbey, ndlr). C’est en 1980 qu’on a fait notre premier concert à la salle des fêtes de Sauveterre, avec Stalag en tête d’affiche. On a fait 400 personnes ! C’est ce jour-là que j’ai su que c’était ça que je voulais faire.

J’aurais bien voulu être une rockstar mais j’ai vite laissé tomber. On avait monté un groupe, comme ça, mais j’ai dû jouer en tout 45 secondes. J’ai tout de suite compris que c’était pas pour moi. Juste pour des reprises, les types du groupe retrouvaient les accords, la rythmique, juste à l’oreille et, moi, avec mes 10 ans d’école de musique, de solfège méthode rose et tout le bazar, j’en étais incapable. Donc je me suis dit que mes compétences seraient mieux employées ailleurs.

Mais cette expérience, en passant, m’a fait me dire qu’il y avait sûrement quelque chose qui clochait dans l’apprentissage classique de la musique. Ce qui m’amènera plus tard à réfléchir aux bases de la pédagogie Rock School – on ne parlait pas encore de transmission à l’époque.

Comment vous êtes-vous retrouvé à Bordeaux ?
Suite à un concert d’Oberkampf. C’était en juillet 1983, il y avait eu deux panneaux arrachés et un «bombage», un tag à l’époque, avec écrit «Vive l’anarchie». Quatre jours plus tard, le maire de Sauveterre nous a signifié qu’on était interdit de salle des fêtes. Mais comme alors, il y avait toute une scène rock en France mais très peu de concerts finalement, alors les groupes nous demandaient si on pouvait les faire jouer. Donc on s’est tourné vers Bordeaux. Avec la nouvelle asso, PAD, on a fait de plus en plus de choses, jusqu’en mars 1988 : peu de temps avant, je m’étais fait passer pour un journaliste pour aller rencontrer Marsu des Bérurier Noir à Paris. Il m’avait vite grillé mais ils ont accepté de venir jouer à la Salle des fêtes du Grand Parc, où on a fait complet ! La salle est devenue emblématique de cette époque du rock à Bordeaux.

1988, ça coïncide avec la naissance de la Rock School…
Tout à fait. Pendant ce temps, j’étais pion et j’ai finalement passé un DEFA, un diplôme d’animateur socio-culturel, ce qui ne me bottait pas plus que ça. Mais il se trouve que, pour finir son cursus, il fallait être soi-même porteur d’un projet. Le mien, c’était ce projet de Rock School, où la formation, une «transmission» calquée sur l’esprit de notre musique, serait avant tout le fait d’artistes avant d’être des professeurs, dans un échange de pair à pair – une idée assez proche de celle des Grands Frères dans les banlieues.

À cette époque, le Théâtre Barbey était encore géré par l’Association des centres d’animation de quartier de Bordeaux, présidée alors par une grande dame maintenant disparue, Danielle Danton, une des rares responsables à avoir l’“oreille rock”. Elle m’a proposé à la fois d’y monter mon projet de Rock School, et d’y faire des concerts rock. En mai, on faisait jouer les Ludwig Von 88, un carton, et, en septembre, on a fait une première saison «laboratoire» en créant l’école avec quatre musiciens locaux. Les principes étaient déjà là : que des cours collectifs, juste les bases du rock – basse, guitare, batterie, chant. C’était bricolé avec trois bouts de ficelle, sans subvention, sans comm’ – il n’y avait pas de réseaux sociaux et pourtant, avec le bouche-à-oreille on a atteint tout de suite 60 adhérents ! Côté prog’, ils sont tous passés par chez nous, Mano Solo, les Sheriff, les Thugs, les Garçons Bouchers… Et ça fonctionnait du feu de dieu, entre 600 et 1100 personnes par date ! Bon, l’ennui, c’est qu’à chaque fois il fallait démonter puis remonter un à un tous les fauteuils du théâtre (rires)…

Et puis, c’est devenu «votre» salle. Comment ça s’est passé ?
On a eu la chance de rencontrer Simone Noailles, qui était l’adjointe aux Affaires sociales à la Ville. Quelqu’un de pragmatique, qui a tout de suite vu le potentiel du lieu, pas tant pour la culture que pour la prévention de la délinquance. C’est comme ça que je me suis retrouvé à aller défendre le projet à la mairie : j’ai été le premier à y entrer en perfecto-bandana (rires) ! Et comme ça, on a eu nos premières subventions – 50000 francs, plus 20000 du ministère de la Jeunesse et des Sports.

Et, pile en 1989, Jack Lang lançait son Agence de rénovation des petits lieux musicaux, qui mettait au pot autant que ce qu’une ville engageait. Une aubaine : là, on s’est dit «C’est pour nous !» On a monté le dossier, et la légende dit que Jacques Chaban-Delmas a remis le dossier en mains propres à Lang ! Je ne sais pas si c’est vrai – c’est possible –, en tout cas, ça n’a pas empêché le dossier de patiner. C’était la fin de l’ère Chaban déjà, c’était compliqué. Mais, en 1993, Jean-Michel Lucas a été nommé Drac (directeur régional des Affaires culturelles) et lui a complètement repris le dossier. Pour lui, il fallait tout repenser et mettre aux normes. Et il mettait 3 millions de francs sur la table ! 1995, les municipales ont porté Alain Juppé, alors Premier ministre, à la mairie. Il est passé pour une visite de 20 minutes et lui a tout de suite vu l’intérêt de la rénovation pour la suite. Ils ont choisi le mode de la DSP, délégation de service public (assortie d’un loyer), un appel à candidature qu’on a remporté… sans trop de concurrence. Et c’est comme ça que, nous, sortis du réseau des centres d’animation de Bordeaux, nous sommes retrouvés à gérer une salle où les travaux montaient à 6 millions.

Je me souviens encore qu’à l’inauguration, en 1997, un élu s’était étonné : «Mais il n’y a pas de sièges !» «Non, lui avait répondu Juppé, ici les jeunes viennent s’éclater et danser le pogo !» (rires) Un signe qu’une nouvelle ère commençait : alors qu’avant c’était assez diffus, on était enfin identifié par la Ville et reconnu pour ce qu’on faisait, reconnu comme un axe majeur de la politique culturelle de la ville. Pour la ville en tant que telle et pour son rayonnement, puisqu’on a envoyé un paquet de groupes d’ici dans les réseaux des villes jumelées à Bordeaux.

Justement, la Rock School elle-même a fait des émules un peu partout. Il y a d’ailleurs eu un point au cours de la journée pro «transmission», le 13 juin. Où en est le Réseau Rock School ?
Oui, à ma grande surprise, on est venu nous chercher. On avait déposé le nom en 1989, et puis, il y a eu l’Amac / Café Music à Mont-de-Marsan, premier lieu à nous demander s’ils pouvaient reprendre le nom. On a alors constitué le Réseau sous l’impulsion de Daniel Marrouat, qui a été capable de transcrire «philosophiquement» ce qu’on portait en termes pédagogiques. Mais il n’existe de manière plus formelle que depuis 2009, réunissant désormais 19 villes, en France mais aussi à l’étranger – à Québec, à Vitoria au Pays Basque espagnol… Il y a des projets dans de grandes villes comme Marseille, Paris ou Barcelone, via l’équipe de l’Apollo / Primavera Festival, qui est intéressée non seulement pour faire leur festival chez nous mais aussi pour importer chez eux notre façon de faire. Je trouve ça assez extraordinaire.

Mais le Réseau se trouve face à un problème de croissance et on n’a pas les moyens de mettre quelqu’un à plein temps dessus. Sans quelqu’un, sans un budget, ça ne pourra pas fonctionner. Et c’est regrettable à l’heure où le ministère redéfinit les dispositifs structurels mis en place dans la transmission : le problème, c’est qu’il s’imagine qu’on peut se contenter d’un copier-coller de ce qui se fait dans la musique classique. Or, dans notre champ des musiques actuelles, on n’obtient pas un diplôme pour ensuite intégrer un orchestre régional, non. Le ministère voudrait distinguer aisément les pratiques amateure et professionnelle, or chez nous, être pro c’est être intermittent – donc chômeur (rires). Ils oublient surtout tout le volet «aspirant pro» qui existe chez nous, un peu comme dans le sport.

On n’est pas contre l’idée qu’il puisse exister quelque chose comme un diplôme, mais on voudrait que soit privilégiée quelque chose qui soit en rapport avec l’esprit, l’histoire de cette musique. Je dis souvent que le delta du Mississipi est le plus grand conservatoire du monde. Le diplôme, la visée pro, ce n’est pas notre souci premier, parce les musiques actuelles, c’est bien plus qu’une simple maîtrise technique. Ce qui nous importe, c’est d’abord d’apporter les outils utiles à l’émancipation de chacun, créer un écosystème favorable où un môme de 12 ans aient les moyens de s’adonner à la musique plaisir, de créer, de devenir citoyen. C’est pour cela qu’il nous paraît important qu’on nous laisse imaginer le dispositif qui nous sied.

Surtout, une Rock School n’est pas un dispositif unique, figé, elle doit tenir compte des spécificités locales. D’où l’importance d’avoir un budget, des moyens, de quoi organiser des rencontres, animer le réseau, faire le point sur les avancées pédagogiques chez chacun… Le faire évoluer en permanence. Mais on y arrivera, un jour ou l’autre. Un jour, les idées que l’on porte seront adoptées – il faudra du temps mais l’histoire va dans notre sens.

Qui dit anniversaire dit, pour faire bateau, «bilan et perspectives». Où va Barbey ? Vers une future salle de 3000 places, comme vous l’avez évoqué dans la presse à quelques reprises ?
(Rires) Non, je crois que la salle à 3000 je ne la verrai jamais ! Ce en quoi je crois, par contre, c’est en ce projet de rénovation de l’îlot Santé navale (les bâtiments qui jouxtent Barbey, jusqu’à l’angle de la place André-Meunier, ndlr). L’idée est d’y implanter tout un «écosystème créatif» qui sera ouvert sur toute la filière (disquaires, labels, etc.). Il y aura certainement un effet dynamisant.

Et puis, côté diffusion, on s’est un temps un peu reposé sur nos lauriers, alors on essaie de relancer la machine – et ce, malgré la concentration verticale dans ce domaine qui rend les choses plus compliquées, d’autant plus qu’on n’a pas des moyens extraordinaires, très maigres quand on compare aux autres salles équivalentes en France. Mais on a des idées, et une ligne rock indé sur laquelle on compte se recentrer. Plus de grands projets comme ce qui se profile avec le Primavera Festival.

À l’heure où nous intégrons la Smac d’agglomération, je suis persuadé que nous avons encore des choses à faire sur la place, et encore de belles cartes à jouer pour l’attractivité de Bordeaux et son agglo. •


Recueilli par Sébastien Le Jeune


Ce soir, méga-teuf !

Ce soir, une seule consigne : être à l’heure (19h) ! Parce que, distribuées gratis sur le site de Digitick (via www.rockschool-barbey.com), les invitations partent comme des petits pains – et il n’est pas trop tard pour s’y mettre aujourd’hui. Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde, qu’on se le dise.
D’abord parce que la tête d’affiche, la Colonie de Vacances, génialissime ping-pong quadriphonique inventé par quatre pointures du rock noise hexagonal (Papier Tigre, Electric Electric, Marvin et Pneu) réduit la jauge de la grande salle en raison de ses quatre scènes au milieu desquelles le public se glisse. Ensuite parce que la cour et le club de Barbey ne sont pas immenses non plus. Là, on aura droit à deux concerts : en tête, nos stars du garage, le duo JC Satàn, et Piscine, à la première livraison très rock instrumental à tendance math. Tout autour, des DJ sets des amis de la maison : Kino de l’e-mag Gonzaï, Señor Guillaume Gwardeath, Fred Animal Factory et même les Satàn et tout le crew de la Colo derrière les platines. Voilà qui devrait donner.
À noter, pour une fois, il y aura restauration sur place, et du kit spécial anniversaire à vendre (15€), plein de goodies collector : t-shirt, mediator, badge, sac...

Photo : Dans la cour de Barbey, devant la fresque toute fraîche signée des graphistes-graffeurs LL Cool Jo et Havec, Éric Roux (au premier rang, 2e en partant de la droite) avec une bonne partie de sa dream team. © SLJ