« Kiki » quitte son bar Le Montaigne Imprimer
Vendredi, 03 Mars 2017 06:00

Du haut de ses 77 ans, Christiane Charpin s’apprête à baisser définitivement le rideau de son troquet séculaire de la rue Montaigne. Après 43 années de bons et loyaux services la tenancière rend le tablier. Son départ à la retraite signe la disparition du Montaigne, bar emblématique du quartier des Grands-Hommes.

C’est une page importante de la vie du quartier qui se tourne. Une décision qui n’a pas été facile à prendre pour celle qui a déjà repoussé l’âge de la retraite au-delà du raisonnable. Mais pour Christiane Charpin dite « Kiki », le cœur n’y est plus. Arrivée à Bordeaux en 1974 « par amour », elle commence par travailler 14 ans comme serveuse au Montaigne avant de racheter l’établissement à son ancien patron « M. Gérard », comme elle l’appelle. Inutile de dire que dans le quartier tout le monde la connaît. Le bar y fait aujourd’hui figure d’ovni avec sa façade un peu vieillotte et sa décoration du siècle dernier. Tout est d’origine. Christiane Charpin n’a rien touché de l’époque où « Gégé » officiait derrière le comptoir.

Difficile de se dire que Le Montaigne vit ses derniers instants, alors qu’il se tient dans la rue du même nom depuis plus de 100 ans. « Ma vie c’était l’ambiance des bars », résume Christiane Charpin. Le Montaigne c’est son 5ème établissement, le seul où elle se soit fixée après avoir tenu des bars à Cognac, Vendôme, Tours ou encore Nantes. Si derrière ses petites lunettes bleues, elle a encore l’œil qui frise, on voit bien que la commerçante en a gros sur le cœur : « maintenant, les gens vont où c’est neuf ! Il n’y a plus que moi j’en ai ras le pompon ! ». En plus de plier sous le poids des charges Christiane Charpin doit bien l’admettre, physiquement c’est de plus en plus difficile. « J’ai été jusqu’à la râpe », reconnaît-elle entre deux gorgées de café.

Alors elle s’est résolue à se retirer et à vendre, peut-être pour s’éviter la douleur de voir son commerce subsister sans elle : « ça va me faire de la peine, alors je préfère qu’il n’y ait plus rien ». Mais « Kiki » n’en dira pas plus sur la vente, « ça va me porter malheur ! » Tout juste confessera-t-elle que l’antique comptoir en zinc a déjà trouvé preneur. Tout ce que l’on peut dire c’est qu’au 10 rue Montaigne on ne servira plus de café.

Un pilier du quartier

Celle qui a toujours travaillé derrière un comptoir envisage la retraite avec appréhension. Encore accoudée derrière son bar, chaussée de baskets New Balance et enveloppée dans sa veste de renard, elle se souvient avec regret d’une autre époque où le Bec - le club de rugby étudiant - se réunissait au Montaigne. « On a rigolé ici ! On s’est bien amusé ». Les posters des années 70 à l’effigie des joueurs, sont encore placardés au mur au dessus du grand miroir face au comptoir.

Elle dort dans l’établissement en semaine et y reçoit le soir « les copains du quartier ». « Tout le monde amène quelque chose à manger et on boit un coup ». Nul doute que le départ de cette figure emblématique du quartier laissera un vide dans le cœur de ses habitants. Alors on ne peut lui souhaiter qu’une chose : couler des jours heureux au Vietnam comme elle en a toujours rêvé !  »

Clothilde Bru

Photo : Christiane Charpin dite « Kiki » derrière le comptoir de son mythique bar Le Montaigne © Guillaume Bonnaud / Archives Sud Ouest