Théâtre : «Amnesia» ravive la mémoire des tunisiens Imprimer
Mardi, 25 Janvier 2011 21:11
Ils n’avaient pas senti le vent tourner. Mais leur pièce tombe aujourd’hui à pic. Qui aurait cru en avril 2010 lors de la création d’ «Amnesia» à Tunis que la jeunesse renverserait le pouvoir en place ? Certainement pas Fadhel Jaïbi, le metteur en scène de la pièce «Nous travaillons beaucoup avec eux et jusqu’ici avions le sentiment d’un sens unique.» Il participait avec sa compagne Jalila Baccar aux manifestations du 11 janvier. «Nous avons été insultés, malmenés, molestés. C’était invraisemblable», témoigne l’homme de théâtre. Ironie du sort, une fois Ben Ali parti, son épouse s’est vue proposer la fonction de Ministre de la Culture. «Elle a rétorqué qu’elle préférait le contre-pouvoir au pouvoir. Et puis la situation est floue, le pays est dans l’expectative, il ne faut donc pas se jeter sur des postes à responsabilité de suite. Solidaires de la rue qui a pris désormais tous les devants, notre place est sur les planches !», observe celui qui a souvent subi la censure. «Amnesia» n’a pas été épargné. «On nous a demandé de couper un passage dérisoire où l’on parle d’un disque dur car l’ancien président est un féru d’internet et des ordinateurs par exemple, mais aussi une scène de salut qui pouvait apparenter Ben Ali à Hitler. Cela dit, les dirigeants préfèrent l’autocensure car nous sommes reconnus, et ils craignent qu’on évoque le problème haut et fort», poursuit le metteur en scène.

La plus radicale
La trame de la pièce, elle, s’avère beaucoup moins dérisoire. Les deux artistes traitent d’un système qui se débarrase d’un «grand homme». En fuite après un séjour à l’hôpital psychiatrique, il rencontre des gens ordinaires ou des journalistes dont les bouches étaient cousues, qui lui disent ses quatre vérités. Inutile de préciser qui se cache derrière ce personnage enfermé dans sa bulle pendant des années... «Amnesia est notre oeuvre la plus radicale car elle vise le coeur du système. Nous parlons ici d’une sorte de révolution de palais qui commence sans paroles car le corps occupe une place primordiale. C’est un champ sémantique extraordinaire». Surpris par la jeunesse tunisienne, Fadhel Jaïbi s’inspirera sans aucun doute de cette révolution du jasmin pour ses prochaines créations. «On a vu énormément d’humour sur la toile via la poésie, le rap... On aimerait ainsi monter un spectacle complet sur l’après Ben Ali en félicitant les jeunes», estime l’intéressé. Mais avant cela  «Amnesia» continue sa route et se rendra en régions, Sidi Bouzid en tête, là où tout a commencé. «Nous irons là-bas en mars car nous ne pouvions pas nous y produire auparavant». La troupe qui se sent par ailleurs à l’étroit dans sa salle de 450 places, souhaite investir hôpitaux, prisons, réfectoires, et places publiques comme à ses débuts. En espérant cette fois, le faire sous un régime un brin plus démocratique.• (CC)
A partir de ce soir 20h TnBA et jusqu’à vendredi, 5-25€. Infos : www.tnba.org. Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation demain et vendredi.