Depuis un peu plus d’un an, la place Saint-Michel et les rues alentours vivent au rythme des travaux. Le vaste chantier qui consiste à offrir une deuxième jeunesse à un quartier qui en avait bien besoin progresse à vue d’oeil et dans le respect du calendrier annoncé. Mais les commerçants du secteur trouvent le temps long.

Alors que les chantiers de la première phase, celle qui concerne la place elle-même, s’achèvera en décembre, date où le marché réintégrera les lieux, les passants peuvent déjà se faire une idée bien précise du nouvel aspect de la place Saint-Mich.
Depuis juillet, de larges pans du lieu ont été rendus aux piétons et aux terrasses. L’ensemble, certains le regrettent déjà, est très minéral, peut-être même un peu froid, malgré les quelques arbres qui ont été conservés. Mais pour les commerçants, forcément pénalisés par ces travaux débutés en août 2013, voir les palissades reculer est un soulagement et le signe que le bout du tunnel n’est plus si loin. Car ici, tous les commerces souffrent à divers degrés. « C’est la m... », lâche l’un des restaurateurs qui vient pourtant de récupérer un petit espace pour installer sa terrasse. Il n’en dira pas plus.

Des commerces « en souffrance »
Sabine Immer, gérante de la pharmacie de la flèche, elle, ne mâche pas ses mots : « économiquement, c’est très compliqué, la plupart des commerces sont en souffrance, affirme-t-elle. En terme de chiffre d’affaires (CA), nous constatons une baisse de 5 à 10% et encore, je ne me plains pas par rapport à d’autres.»
Ce que la commerçante ne digère pas, c’est ce qu’elle considère comme une promesse non tenue du maire de Bordeaux : « avant les élections municipales, on nous a fait miroiter une indemnisation de la Cub, explique-t-elle. Nous avons rempli un dossier très lourd et le 21 juillet, on nous a répondu que nous n’aurions rien. Ils nous ont dit qu’en ce qui nous concerne, la période où les travaux nous ont touchés ne s’étendait que d’août 2013 à décembre 2013. Pourtant, on est en septembre 2014 et il y a encore des travaux à quelques mètres ! Je trouve ça malhonnête. On nous a promis ça pour nous calmer en période électorale. Aujourd’hui, je suis déçue et résignée.» « Il ne faut pas se leurrer, les travaux ont entraîné une baisse d’activité, ajoute Lénaïc Tevelle, gérant du bar à vin La Cuv, place du Maucaillou. L’impact est variable en fonction de l’activité mais il nous tarde que ce soit terminé. On espère un renouveau et on le sent déjà. L’esprit de Saint-Mich doit rester le même.»
La fin officielle des travaux, qui s’achèveront rue des Faures, est prévue en mai 2015.

Le marché, pas si mal sur le quai ?

Pour ceux qui en douteraient encore, le marché de Saint-Michel est bien vivant et il se porte bien, merci. Certes, il serait plus exact de l’appeler marché des Salinières, nom du quai vers lequel il a été provisoirement transféré en novembre 2011 pour permettre le début des travaux de rénovation du quartier. Mais pour le reste, l’ambiance n’a pas changé.
Dans une joyeuse cohue, les commerçants hèlent les clients potentiels de leur faconde à la sauce bordeluche, ces derniers fouillent et refouillent les étalages avec la détermination de celui qui s’imagine dénicher le produit rare et sous le chaud soleil de cette fin d’été, finalement, l’âme de Saint-Mich semble bien là, de l’autre côté des frontières de ce village dans la ville. 
Pourtant, en creusant un peu, des mécontents se dissimulent sous un sourire commerçant de rigueur. Car le marché est avant tout, bien évidemment, une affaire de business.
Depuis « plus de 20 ans », Nejla accompagne ses parents sur le marché. Sur le stand familial, des vêtements pour femmes de toutes sortes, plutôt légers hier matin en réponse à la chaleur ambiante. Les clientes sont bien là et pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les affaires ne vont pas bien... « Depuis le déménagement, nous avons perdu tous nos bons clients, déplore la jeune femme. Notre chiffre d’affaires a chuté d’environ 80%. C’est sûr, nous travaillions mieux de l’autre côté...» Selon Nejla, l’explication à cette perte d’activité est toute simple : « ici, nous sommes plus nombreux alors que le nombre de clients, lui, n’a pas augmenté. Nous devons partager le gâteau en de plus petites parts...»
Ce mécontentement, tous ne le partagent pas, loin de là. Raphaël Fernandez vend des tissus orientaux et lui se verrait bien rester sur le quai des Salinières : « ça fait 15 ans que je fais le marché de Saint-Michel et je trouve que c’est mieux ici car il y a plus de passage, affirme-t-il. Pour l’accès des gens et des camions, c’est mieux ici. Là-bas, c’était difficile par exemple d’avoir une place.»
Juste à côté, son collègue François Arena, qui vend des tissus et des vêtements pour enfants, fait la moue : « c’est vrai que l’accès est plus facile ici pour les gens car il y a deux stations de tram à côté et les allées sont plus larges. Mais je préfère l’autre côté car c’est le vrai marché de Saint-Mich'. Il y a un côté sentimental, on est beaucoup à voir les choses comme ça.»
« Il me tarde que l’on revienne à Saint-Mich, appuie Nejla. Ici, toutes les allées sont en ligne droite, ça saoûle tout le monde. A Saint-Mich', j’aimais bien le fait que tout soit mélangé, ce côté bordélique que beaucoup de clients aimaient. Après, il paraît que ça va changer. Il faut voir ce que ça va donner...» •  OSF

Photo : Autour de la place Saint-Michel, certains espaces déjà achevés ont été rendus aux restaurateurs afin qu’ils réinstallent leurs terrasses