Dominique Boullier est sociologue, directeur du Social Media Lab à Lausanne. Depuis de nombreuses années, il travaille sur la notion d’habitèle, nouvelle enveloppe numérique que se créent les humains. Il anime ce vendredi une série de conférences consacrées à ce sujet (1) et organisées par le centre d’architecture arc en rêve. L’événement s’inscrit dans le cadre de constellation.s, projet qui explore les nouvelles manières d’habiter le monde. Il prend la forme d’une grande exposition accompagnée d’un cycle de conférences et de rencontres thématiques.

Quel est l’enjeu de cette journée de conférences ? 

Nous ne devons plus penser le numérique uniquement en terme d’équipements et de réseaux mais nous interroger sur comment les humains vivent dans ce nouvel habitat.

Pourquoi parlez-vous d’habitat ?

Avec le numérique, nous nous sommes créés une nouvelle peau technique. J’ai mené ces dernières années une grande enquête internationale qui a montré que le numérique est bien autre chose qu’un outil. Notre lien avec nos écrans touche l’intime. D’ailleurs nous gardons toute la journée notre téléphone contre la peau, donc  la partie la plus intime de notre corps. Cet appareil vibre contre nous. Nous partageons avec lui des émotions, des événements familiaux, amicaux. Nous entretenons un lien très fort. Le numérique est quelque chose qui nous habite. 

Qui vit cette relation particulière?

Les deux tiers de l’humanité sont aujourd’hui connectés, avec presque partout la même technologie. La mutation n’est pas que technologique. Elle est aussi culturelle. 

Est-ce que notre relation à notre environnement a changé ?

Notre relationnel change bien évidemment. Nous sommes traversés par des flux de données. Nous vivons au milieu d’entités qui communiquent entre elles. Tout l’enjeu est aujourd’hui de savoir si nous maîtrisons cela, si nous pouvons trouver un habitat dans ces flux où l’on se sente chez soi. Nous sommes aujourd’hui envahis d’alertes et de notifications sur notre téléphone. Comment les réguler et ne pas se laisser submerger ?

Certains évoquent d’ailleurs aujourd’hui le besoin de se déconnecter. Est-ce encore possible ?

On ne peut plus quitter cette enveloppe. Elle est devenue quelque chose de naturel. Elle est comme nos habits. Nous nous en servons à n’importe quel moment. Quand on voyage, notre nouvelle peau nous suit. Même au fin fond de la jungle, certains espèrent trouver du Wifi pour se connecter car trop collés à leur enveloppe numérique. Il faut savoir la réguler. 

Comment bien habiter cette enveloppe alors ?

Face à ces flux de données, messageries, alertes qui ne s’arrêtent jamais, nous pouvons facilement nous laisser embarquer. Il ne faut pas se contenter de loger dans cette nouvelle enveloppe, mais y habiter. Habiter induit aussi de créer des habitudes. Il faut trouver des moments pour se poser et se mettre à l’écart des flux. C’est pour cela que j’aime bien employer le terme d’habitèle, qui arrive après l’habitacle, l’habitat et l’habit.• 

Photo ©DR 

Demain, vendredi, de 9h30 à  12h45 puis de 14h30 à 16h30, «Habiter son enveloppe numérique»: discussions croisées entre quatre conférenciers (François Jullien, Bruno Latour, Dominique Boullier et Francis Jaureguiberry) sur le thème « Habiter son enveloppe numérique »  à l’entrepôt Lainé, 7 rue Ferrère. Entrée libre dans la limite des places disponibles.

Infos sur www.constellations.arcenreve.com