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TnBA : Catherine Marnas, la raison et la passion PDF Imprimer Envoyer
Mardi, 10 Juin 2014 06:00

En début d’année, Catherine Marnas quittait la région Paca pour venir se poser au TnBA où elle a été nommée directrice, prenant ainsi la suite de Dominique Pitoiset à la tête de l’institution. Entretien à quelques jours de lever le voile sur sa première saison (jeudi 19 juin).

 

Comment s’est passée votre arrivée à Bordeaux ?

J’ai été extrêmement bien accueillie par les équipes du TnBA, une belle institution qui est devenu mon premier foyer – j’y passe même tout mon temps ! Mais aussi par la Ville, et par les structures partenaires avec lesquelles un dialogue s’est installé : le Conservatoire, le CAPC, ou encore l’Opéra qui m’a suivie pour le choix de deux programmes, dont celui de Platel [Alain Platel, metteur en scène belge des Ballets C de la B, qui présentera « Coup fatal » en avril, ndlr] : j’en suis une grande fan, et je suis très heureuse qu’on ait accepté ce choix pas seulement motivé par la raison mais aussi par la passion.


J’ai aussi rencontré beaucoup d’autres interlocuteurs locaux – le Glob, le Carré-Colonnes, le Théâtre des 4 Saisons… – et régionaux comme la Scène nationale de Bayonne. En cinq mois, je pense avoir été assez efficace. Il faut dire que j’avais déjà un peu noué le dialogue avec la ville, lorsque j’étais intervenue auprès de la 1re promotion de l’ÉSTBA, en venant présenter « Sainte Jeanne des Abattoirs » de Brecht, un projet qui impliquait la participation longue, pendant un an en amont, d’une quarantaine d’amateurs. Pour moi, la présence d’une école au sein d’un CDN est un point hyper-important.


Et puis, l’accueil est bon aussi auprès du public. Je sens bien qu’ici la passion pour le théâtre est intacte – alors qu’on sent une plus grande lassitude en région Paca. Et les gens commencent à me reconnaître à mes baguettes [qui lui servent à s’attacher les cheveux], mes “antennes” qui me maintiennent en contact avec le ciel [sourire]… 



Le public bordelais aura d’ailleurs un premier vrai contact avec vous à l’occasion de Chahuts, à la fin de cette semaine…

En effet, nous proposons « Le Temps suspendu » [samedi à 6h et 18h30 au parc des Sports Saint-Michel], une séance de taï chi collective qui reflète bien le fonctionnement de ma compagnie : tous sur le plateau, on fait bouger et on respire… Là, c’est en écoutant des phrases désespérantes mais très drôles tirées de la loi de Murphy, la loi de l’empoisonnement maximum. Ça devrait être un moment très agréable que de voir tous les gens bouger avec nous. Derrière, il y a résumé une bonne partie de mon parcours très fortement humaniste : je garde une foi profonde dans l’humain. Aujourd’hui les arts sont en résonance avec le chaos du monde. Souvent ironiques, cyniques ou désabusés. Or l’état du monde, on le voit et on le ressent déjà par ailleurs. Pour moi, par le biais du théâtre et du spectacle vivant, on peut faire prendre conscience des possibilités merveilleuses de l’humanité.


L’idée de cette proposition pour Chahuts m’est venue en rencontrant l’équipe de Chahuts : elle avait prévu de donner « Transports exceptionnels » [6h30 et 19h], de la danse avec pelleteuse suivie d’un petit déjeuner ; je me suis dit “si on en profitait ?” C’est une prise de contact qui raconte pas mal de choses sur le type de dialogue spécial que j’affectionne. Je suis arrivée à Bordeaux avec un projet dépendant du lieu, de ce bel outil qu’est le TnBA, mais avec aussi la volonté de défendre mon théâtre qu’on décrit souvent comme « savamment populaire », et avec l’envie d’un partage sur le plan artistique. Je suis convaincue par cette idée de rhizome développée par Deleuze et Guattari : le théâtre a tout à gagner à dialoguer avec les autres structures du territoire. Les résultats de ces échanges avec le rhizome nourrissent l’arbre, mais un rhizome ne se crée pas tout seul, il faut aller partout porter la bonne parole. 



« Le Temps suspendu » est une création estampillée Cie Marnas. Que va devenir votre compagnie ?

Le budget des CDN ne permet plus de nos jours d’avoir sous leur toit une équipe artistique, une troupe… Une tribu, comme j’appelle ma compagnie. La marge du TnBA ne le permet certainement pas. Mais les liens avec ma tribu sont le fruit d’une aventure artistique forte qui va continuer sous d’autres formes. Certains vont me suivre en ponctuel ou en venant s’installer à Bordeaux. L’un d’entre eux est déjà présent sur le territoire, Julien Duval, qui a monté avec des anciens de l’ÉSTBA une petite forme du « Barbe bleue » de Jean-Michel Rabeux tournant en ce moment dans les écoles du département. Ce n’est qu’un début : la présence de ma tribu sera plus forte à la rentrée.



Vous parliez marge artistique et budget. Votre prédécesseur Dominique Pitoiset ne mâchait pas ses mots à ce sujet. Quel est votre regard sur la question ?

J’avoue que c’est une période difficile. Les dotations de l’État n’ont pas augmenté depuis huit ans, tandis que les salaires, les frais de transport, les prix des spectacles n’ont cessé d’augmenter, grevant d’autant la marge artistique. La mission d’un CDN n’oblige pas à diffuser plus de 12 spectacles par an mais comment priver les Bordelais de voir tant de belles choses ? On essaie comme on peut de réduire la masse salariale par le non-remplacement des départs en retraite, en multipliant les partenariats… La solution simple serait d’augmenter le prix des places mais je m’y refuse : ce serait contradictoire avec mon envie d’élargir le public. Pour moi, tout le monde ne veut peut-être pas aller au théâtre, mais tout le monde devrait pouvoir y aller. J’ai même fait le pari inverse – une folie : offrir plus de places au travers de séries plus longues, et aménager le hall Vitez de manière à faire du théâtre un lieu ouvert où on peut passer à tout moment. Je peux heureusement compter sur une équipe passionnée, c’est un atout important : la passion compense la fatigue, même si on n’est pas à l’abri d’un risque de surchauffe.


Quand j’ai postulé au poste de directrice, j’ai eu accès aux chiffres du TnBA et je me suis dit “est-ce bien raisonnable ?” J’avais une compagnie bien subventionnée, mais j’étais très attirée par l’outil. Un gros outil, avec trois salles et une cinquantaine de permanents. Je vais faire de mon mieux avec la meilleure volonté absolue. Mais on est déjà à un seuil critique pour garder un théâtre en ordre de marche : descendre plus bas mettrait en question l’existence-même de cet outil. L’inquiétude financière est réelle, et c’est dommage parce qu’il ne faudrait pas énormément plus pour avoir de l’air.


Un petit mot pour finir sur mon soutien à la lutte des intermittents du spectacle. Des propositions plus économiques avaient été faites et je trouve ça vraiment dommage qu’on n’arrive pas à s’entendre. C’est vraiment important pour le maillage du territoire et pour toute la vitalité artistique de notre pays d’être à l’écoute des intermittents.
 


Sans vouloir vous tirer les vers du nez, que verra-t-on la saison prochaine ? Des grands noms ? Des compagnies régionales ?

Je porte en effet une attention toute particulière à la création régionale. Bordeaux et son agglo brillent par son vivier de très bonne tenue et ses noms reconnus nationalement – je pense à des artistes iconoclastes comme Cojo ou Schweitzer – et j’ai été agréablement surprise en arrivant ici par la très grande qualité des spectacles jeune public. J’ai donc la volonté d’accompagner ce vivier non par des saupoudrages mais en essayant des accueils longs pour sept compagnies la saison prochaine, de manière à leur donner une meilleure visibilité ici et une chance de sortir d’ici en faisant venir des professionnels nationaux. 


Pour les grands noms, je peux juste en citer quelques-uns : outre Platel, on verra une création de Bruno Boëglin et une autre du Hongrois Árpád Schilling, en lien avec le réseau européen Next Step. En ce qui me concerne, je ne ferai pas de création cette saison, le temps de bien prendre la mesure de mon poste. Je présenterai tout de même « Lignes de faille » d’après Nancy Huston, une fresque de l’intime autour du secret de famille, un sujet « transgénérationnel » avec une dimension historique, la narration remontant de la guerre en Irak jusqu’à la période nazie. Partout l’accueil du public a été assez magique depuis deux-trois ans qu’elle tourne, et elle est attendue en mars prochain à Paris au Théâtre du Rond-Point… pour cinq semaines ! J’ai pensé que c’était une bonne prise de contact avec le public bordelais, une belle manière de présenter mon travail, ma démarche, ma tribu au sens large.


Un dernier mot sur la saison à venir : elle comptera pas mal de femmes, metteures en scène et actrices. Il ne s’agit pas d’un manifeste, ni d’une volonté de parité absolue. C’est simplement que les lignes ont bougé et qu’on est désormais plus attentif aux spectacles de grande qualité que produisent ces femmes auparavant peu diffusées. Pour moi, c’est une bonne chose, parce que c’est une façon d’ouvrir le regard. • 


Recueilli par Sébastien Le Jeune

 

Photo : Pour Albert Jacquard, 86 ans, l’esprit de compétition, la compétitivité «nous mènent droit dans le mur». © Anthony Rojo

 

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