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Né sous une bonne (é)toile : rencontre avec Jean-Pierre Gil, le propriétaire du Fémina |
Mercredi, 01 Mars 2017 06:00 |
« J’ai beaucoup de chance. Chaque matin, quand je mets la clé dans la porte du Fémina, c’est le bonheur. » Large sourire, l’œil qui pétille encore comme lorsqu’il découvrait le cinéma dans les salles de grand-papa, Jean-Pierre Gil est une figure incontournable du quartier.
Au Fémina, rue de Grassi, mais aussi à quelques dizaines de mètres plus au sud, au Molière rue du Temple, et à quelques foulées plus au nord, au Trianon rue Franklin en plein cœur des Grands Hommes, Jean-Pierre Gil est chez lui. « Le Fémina, c’est ma deuxième maison », dit-il... Et ça fait soixante ans que ça dure ! Car l’univers des salles, il est tombé « dans la marmite » alors qu’il était tout petit. Jean-Pierre Gil est en effet le petit-fils d’Yvon Rigal, qui reprenait lui-même l’exploitation de salles de cinéma dans le giron, depuis 1921, de cette famille bordelaise pur jus. Le Fémina a été l’une des salles les plus florissantes de Bordeaux, reconnue même bien au-delà – ainsi, la première du « Diable au corps » de Claude Autant-Lara en 1947 eut lieu à Bordeaux, au Fémina, et non à Paris ! Immersion précoce Ainsi touché par le « virus », le jeune homme a très tôt eu l’envie d’intégrer l’entreprise familiale. Tout en poursuivant ses études – le bac et un peu plus pour apprendre entre autres le droit commercial – il a appris “sur le tas” : « J’ai tout fait : contrôleur, projectionniste, technicien de plateau... Et ça m’a été très utile par la suite, pour bien comprendre chaque aspect du métier. » Une expérience précoce d’autant plus utile qu’en 1976, Yvon Rigal prenait sa retraite, laissant les rênes à Jean-Pierre Gil... qui, à 21 ans seulement, se trouvait déjà devant un grand dilemme : « Le milieu des années 1970, c’était la grande vague des multiplex. Pour faire face à la concurrence, j’avais deux choix, casser le Fémina pour en faire un complexe de 12 salles, ou le conserver et lui trouver une activité viable. Entre temps j’avais rencontré beaucoup de monde dans le milieu culturel, dont beaucoup de tourneurs de spectacles. Alors, en accord avec le maire de l’époque Jacques Chaban-Delmas, j’ai dédié le lieu au spectacle vivant. En accordant une place importante (20%) à des associations locales au travail passionnant. » Aujourd’hui, c’est Michel Goudard et sa société Euterpe qui gèrent la partie privée de la programmation. Vingt ans plus tard, le Molière allait connaître le même tournant. Avec le concours de Serge Trouillet, disparu en janvier dernier, l’Office artistique de la Région Aquitaine, l’Oara, allait investir, en 1995, les murs que l’agence régionale occupe encore aujourd’hui. Quant au Trianon, il allait devenir 28 ans durant l’écrin du Cinéma Jean-Vigo d’Alain Marty avant d’accueillir, depuis 2008, des opérateurs de comédie privée, d’abord Frédéric Bouchet (Théâtre des Salinières) puis Xavier Viton (Théâtre Victoire et Café-théâtre des Beaux-Arts, lire par ailleurs). « Des chaussures il y en a déjà plein » Et de citer quelques soirées mémorables, l’émotion toujours intacte. « En premier, Barbara, pour presque une semaine dans les années 1990 – une demi-heure de standing ovation chaque soir ! Raymond Devos, cinq soirs d’affilée. Jacques Villeret dans « La Contrebasse ». Jean Marais dans « Du vent dans les branches de Sassafras ». Fabrice Lucchini dans sa trilogie Nietzsche. « Les Côtelettes » avec Philippe Noiret et Michel Bouquet... Ad libitum. L’homme est aussi volubile que passionné. Carence en zinc Un seul regret, « la fermeture du Grassi, le petit bar du quartier ». « Ça m’a peiné parce que c’était un lieu essentiel au lien social dans le coin. Mais j’ai trouvé un autre zinc dans le même esprit, le Montaigne. Pas très loin, aux Grands Hommes... » •
Sébastien Le Jeune Photo : Héritier d’une grande famille d’exploitants de salles de cinéma, Jean-Pierre Gil, propriétaire du Fémina, du Trianon et du Molière, devant le Fémina, sa « deuxième maison » © SLJ / Bordeaux7 |