On connaît tous l’histoire. Ou plutôt le début de l’histoire.

Celle de mutins anglais qui en 1790 décident, guidés par leur chef éclairé Fletcher Christian, de déserter la Royal Navy pour s’installer sur une île déserte des mers du sud en compagnie de quelques hommes et femmes polynésiens. Un nouveau départ, la liberté, une nouvelle société, paradisiaque. Ce sont les « révoltés du Bounty », épopée célébrissime en Angleterre, bien connue en France, immortalisée sur grand et petit écran. On y raconte la révolte, la fuite et la découverte de l’île Pitcairn, épilogue heureux d’un scénario haletant. Mais ensuite ? Ensuite, rideau. Comme dans les contes de fées qui s’achèvent sur la promesse d’une vie heureuse avec beaucoup d’enfants, où l’on décrète la fin de l’histoire au moment où justement tout commence. Or c’est sur Pitcairn que tout se joue. Que font ces hommes de cette liberté retrouvée, de cet embryon de société mixte et métissée où tout est à créer ? « Mais que sont les révoltés du Bounty devenus ? » C’est la question que pose, sur la scène du Glob Théâtre cette semaine, l’auteur et acteur Sébastien Laurier (issu de la Compagnie du Soleil Bleu de Laurent Laffargue). La réponse est historiquement connue : près de 20 ans après leur installation sur Pitcairn, la plupart des femmes sont encore là, avec de nombreux enfants. Mais des quinze hommes il n’en reste qu’un : 13 ont succombé à une mort violente. Que s’est-il passé ? Personne ne le sait vraiment. Mais la question taraude Sébastien Laurier qui s’attache, pendant 1h20, à reconstituer l’histoire, à dénouer les fils de cette incroyable aventure humaine. Historien de formation, il a d’abord étudié, enquêté, fouillé les récits liés à ce qui lui apparaît comme une version condensée de l’histoire universelle. Seul en scène, il raconte et incarne tour à tour les héros de Pitcairn.

Bas instincts
Pas de décor paradisiaque, c’est depuis son salon que le narrateur nous embarque. Mais la pièce familière devient navire quand Sébastien Laurier tangue sur son tapis, île sauvage quand il recrée les discussions houleuses autour du feu de camp. L’épopée des rescapés est celle du rêve devenu cauchemar, où la promesse d’une société nouvelle n’a pu résister aux assauts de la jalousie, de l’égoïsme, du rejet de l’autre, dans une parodie de démocratie prise à son propre piège. Elle pose la question, chère à l’auteur, de la transmission : comment les survivants ont-ils pu raconter cette histoire à leurs enfants ? De ce naufrage collectif, Sébastien Laurier, auteur-metteur en scène-interprète, tire une très jolie réussite personnelle. Et dans le flot des spectacles proposés actuellement sur les scènes girondines, ce voyage-là vaut assurément le détour.•           
Sophie Lemaire
Demain, mercredi et jeudi à 20h, vendredi et samedi à 21h au Glob Théâtre. 6-16€.