Je t’aime, donc je pars. Il y a un peu de cela dans la démission du directeur du TNT Eric Chevance, entérinée mardi soir par le conseil d’administration du théâtre.

«J’ai décidé de quitter mes fonctions car je pense qu’il est possible de bâtir un nouveau projet pour ce lieu, mais que je ne suis plus, moi, en capacité de porter ce projet. Or je ne suis pas dans une logique «après moi le déluge»», explique celui qui fut l’un des fondateurs du TNT-Manufacture de chaussures. Du réalisme en fait, plus qu’un esprit de sacrifice. La structure voit la part de ses subventions versées par l’Etat, via la DRAC (direction régionale des affaires culturelles) diminuer fortement depuis deux ans et la baisse devrait se poursuivre les prochaines saisons. Le TNT, dont l’Etat est le principal soutien financier depuis toujours, voit donc son avenir menacé et rien de ce que son directeur a pu proposer comme projet alternatif n’a convaincu la DRAC d’infléchir une politique culturelle qui privilégie désormais les structures labellisées (ONBA, TnBA...). Le TNT, qui se situe depuis toujours en marge des modèles dominants de la création contemporaine, soutien des projets singuliers, hors normes, dont on ne peut pas dire, c’est sûr, qu’ils soient particulièrement grand public. Mais sans le TNT, un certain nombre d’entre eux n’auraient jamais pu voir le jour. « Notre projet n’a jamais été critiqué sur sa valeur artistique, explique Eric Chevance. Mais il est clair que je n’ai plus la confiance de nos partenaires financiers. Or sans confiance mutuelle, ça ne peut pas fonctionner ». Il cède la place, donc. A qui ? Cette question a aussi une réponse depuis mardi soir.

Maragnani en successeur
Le metteur en scène bordelais Frédéric Maragnani, sollicité par l’équipe d’Eric Chevance, est prêt à relever le défi. Il est venu présenter au conseil d’administration les premières esquisses d’un projet qu’il a jusqu’à début juillet pour affiner. «Je pense qu’il sera plus à même que moi de préserver au moins l’esprit de ce que nous avons voulu mettre en place», explique Eric Chevance. Une simple question de personne, donc ? «Pas seulement, mais notre métier est aussi fait d’alliances et de stratégie. Lui a une capacité de négociation différente, il peut mettre en oeuvre d’autres moyens. Je ne veux pas m’avancer sur sa façon de fonctionner, c’est à lui de le dire, mais je pense qu’il a une position moins tranchée que moi, qu’il pense pouvoir se situer sur une ligne qui intègre à la fois les dimensions du champ institutionnel et de l’artistique sans s’y perdre. C’est une vision sans doute plus conforme au monde d’aujourd’hui. En tout cas ce sera un discours neuf, porté par un homme neuf. Je lui fais confiance pour réussir ce pari.»

Saison de transition
Avec Maragnani, la Manufacture trouverait donc  nouvelle chaussure à son pied. Reste à faire valider son dossier par le conseil d’administration et à convaincre les partenaires financiers. Le metteur en scène, déjà engagé sur d’autres projets, ne pourrait pas prendre ses fonctions avant le 1er janvier 2012. En attendant, Eric Chevance a accepté de rester pour préparer la transition et même accompagner son successeur dans le début de sa mission. Du temps aussi pour se retourner. A 53 ans, après 15 années consacrées au TNT, il doit lui aussi se construire un nouveau projet.•
Sophie Lemaire