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Akhenaton : « La soul, c’est le coeur du hip hop » PDF Imprimer Envoyer
Mardi, 24 Mars 2015 06:00

Infatigable Akhenaton. En pleine tournée d’IAM, son charismatique leader a livré « Je suis en vie », un 5e album solo montrant, si besoin était, qu’il a toujours une place influente dans le “rap game” d’aujourd’hui. Entretien avant sa venue en concert, le 2 avril au Rocher de Palmer, à Cenon.

 

Est-ce qu’on peut revenir sur la genèse de cet album ? Ça a été assez épique, me semble-t-il…
Épique, oui ! Plus que ça, presque violent ! En avril dernier, j’étais plus dans l’idée de profiter de la perspective de la tournée d’IAM, me laisser glisser… Et puis Def Jam m’a proposé de sortir un album à une condition : le boucler en novembre, parce qu’ensuite, avec toutes les sorties internationales prévues en 2015, la petite équipe du label n’aurait pas pu assurer la promo. Bref, c’était cinq mois ou rien ! Au début j’ai refusé… Et puis je me suis fait chambrer – conseiller, disons – par les membres du groupe et par Aïcha, ma manager et compagne. Depuis le temps que je râlais sur la difficulté d’être en indépendant… J’ai fini par dire oui.

Un peu comme le dernier IAM, il y a une coloration très hip hop old school des années 1990. C’est lié à Sébastien Damiani, votre complice sur ces deux albums ?
C’était une direction que je voulais prendre. Avec Sébastien, un super clavier venu du classique mais avec la double culture hip hop – au grand dam de ses parents (rires) –, ça fait trois-quatre ans qu’on a développé une manière pas très orthodoxe de travailler. Il y a une sorte de sauvagerie, on ne sait jamais où ça va aller. La musique c’est peut-être de la mathématique, mais la création musicale doit être folle. La difficulté, pour sonner comme ça, c’est que dans les années 1990, on utilisait des samples soul à tours de bras. Et ça, c’est devenu très compliqué aujourd’hui, quand pour le moindre sample on vous demande 10 000$ au bas mot. Alors, avec Sébastien, on a développé une manière de faire sonner la musique comme s’il y avait des samples alors qu’il n’y en a pas ! On se base sur des samples découpés, des instruments live, des plugins rejoués…

Une manière de revenir aux racines du hip hop ?
En fait, c’est ce phénomène du sample hors de prix qui a fait que, au début des années 2000, le rap est redevenu underground, de plus en plus électronique. Or, pour moi, la soul, c’est le cœur – j’en ai toujours écouté. Si vous écoutez mon émission sur Le Mouv’, vous entendrez beaucoup de ce hip hop très soul, encore très présent aux États-Unis. Certains diront que c’est du rap « à l’ancienne ». À mon avis, c’est faux : je prépare en tant que commissaire une exposition à l’Institut du monde arabe autour du hip hop et de la transmission, des USA vers la France, des USA vers le monde arabe. Là-bas, à Ramallah ou au Liban, ils le font “à l’ancienne” et il en sort des productions super intéressantes. Ils ont fait des progrès extraordinaires.

Côté lyrics, on sent toujours ce même mélange, entre constats désabusés et militantisme positif…
Eh oui, toujours ce même côté “Napolitain” (rire). La lumière et les ténèbres – que voulez-vous, j’ai été élevé comme ça… Oui, il faut être positif mais, quand je regarde la télé ou ce qui passe sur Internet, quand je vois le niveau des débats, le niveau de nos politiques, je préfère éteindre et garder le silence. Je le dis dans un de mes titres, pourtant écrit avant les événements de janvier. « Quand les débats sont dans les mains des ignorants débiles/Je prie de tout coeur, qu’enfin le bug vienne » (« Little Brother Is Watching You », ndlr).

Dernièrement, ça a été criant : peu de gens maîtrisent leur dossier, trop peu d’universitaires connaissent vraiment l’histoire de la religion et de la culture musulmanes, alors comment voulez-vous comprendre 7 millions de musulmans… qui eux-mêmes ne la connaissent pas vraiment non plus, se figeant sur un vieux dogme polycopié.

Et tout ça s’en ressent aussi avec l’explosion de la culture contestataire sur Internet : avant, en France, on avait 60 millions de sélectionneurs [au football, ndlr], maintenant on a 66 millions de politiciens, d’économistes, de savants et de théologiens…

Pourtant j’aime l’être humain mais je ne peux m’empêcher de le voir d’un œil cynique. Rien que de penser que les gens sont prêts à voter pour l’extrême droite 70 ans après la fin de la 2e Guerre mondiale… Vous avez entendu l’autre jour Marion Maréchal Le Pen menacer un journaliste ? « Vous verrez quand on sera au pouvoir. » Vous croyez qu’ils vont rester démocrates plus d’une semaine ? Des fois je me dis que les gens sont vraiment bêtes…

Et nous, dans le rap, dans les quartiers, les musulmans aussi, eh bien, on parle mais ça ne sert à rien – quand on ne procède pas au lynchage de nos idées. C’est resté sur le même mode de fonctionnement depuis le 11 septembre 2001. Rien n’a changé. Les valeurs républicaines, le “package” « Liberté, Égalité, Fraternité », moi j’y crois, j’ai envie d’y croire. Mais j’aimerais que tout ça soit vraiment appliqué, et de manière juste.

Pour le coup, la pochette de l’album, son titre, rappelant vos clins d’œil au « Sabre et la Pierre » d’Eiji Yoshikawa dans les textes, prennent tout leur sens. Une leçon de vie pour vous ?
Oui, en résumé, le livre parle du samouraï Musashi Miyamoto dont la philosophie est d’accepter la mort pour profiter de la vie. C’est en voyant des choses simples – le lever du soleil, le vent dans les arbres… – qu’il savoure et dit « Je suis en vie ». Ça, et aussi le fait de perdre des gens que j’aime d’une manière rapide et abrupte, ça m’a appris à relativiser. J’ai réalisé que se prendre la tête sur certaines choses, ça ne valait pas le coup.

C’est à nouveau un album réalisé avec les copains – Shurik’n, Cut Killer, R.E.D.K, Saïd, Veust Lyricist, DJ Daz… Est-ce qu’on verra tout ce petit monde en tournée ?
J’aimerais bien… Mais ça va dépendre des dates. La base, c’est une petite équipe, DJ Daz, Saïd et moi. Et certains soirs, j’espère avoir R.E.D.K., Veust, Shurik’n … Ce sera la surprise ! Cette tournée, j’ai envie d’en faire un voyage dans le temps : il y a des tas de morceaux des premiers albums que je n’ai jamais joués en live – ceux de « Métèque et Mat » ou de « Sol Invictus ». Avec la tournée d’IAM qui continue, donc deux lives en même temps, c’est chaud, ça demande un gros travail de mémorisation ! Mais je suis comme ça, je préfère être surchargé que ne rien faire. Le tout, c’est d’aborder le live avec l’envie de donner du sourire, pour nous comme pour les gens. La récompense immédiate de ce qu’on fait en studio, c’est le live.

Je suis impatient de revenir jouer à Bordeaux, une belle ville, un bel exemple de mutation urbaine réussie. Et jouer au Rocher en plus, ça a du sens : Patrick Duval, alors juste “Musiques de nuit”, nous avait programmé aux débuts d’IAM alors qu’on n’avait qu’une mixtape. Par la suite, on a participé à plein d’ateliers à Cenon, Floirac, Lormont… J’en garde des super souvenirs. Ça fera un peu la boucle avec notre jeunesse, notre adolescence… •  

Recueilli par Sébastien Le Jeune

Akhénaton « IAM Alive », le 2 avril au Rocher, 20h30, 28-30€. www.lerocherdepalmer.fr

Photo : « J’ai réalisé que se prendre la tête sur certaines choses, ça ne valait pas le coup. » © Nicolas Guerin

 

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