En campagne pour sa propre succession, Dominique Pitoiset ? Pas si sûr. Mais en présentant le dernier numéro de la revue «Alternatives Théâtrales» qui lui est en large partie consacré, le directeur du TnBA a quelque peu levé le voile. Un gros coup...

Ainsi pourrait-on qualifier la publication de ce dossier de 50 pages, dense, élégant, passionnant, retraçant tout un parcours en France et à l’étranger, du comédien au directeur de l’ÉSTBA – l’École supérieure de théâtre Bordeaux-Aquitaine qu’il a initiée –, du metteur en scène au directeur du TnBA Centre dramatique national (CDN), où il est arrivé en 2004. Il est vrai qu’après la disparition de plusieurs titres phares de la presse spécialisée de ces dernières années, la revue éditée en Belgique fait référence dans le paysage francophone. « C’est une aubaine formidable pour nous, qui avons l’un des budgets com’ les plus réduits du réseau CDN, se réjouit Dominique Pitoiset. Il y a quelques jours, sont venus me voir à Sceaux, sur la Scène nationale des Gémeaux où je donnais “Mort d’un commis voyageur” d’Arthur Miller, des programmateurs qui ne seraient pas venus s’il n’y avait eu ce dossier et soudain intéressés par des reprises, notamment du cycle sur le théâtre nord-américain. Cela ouvre de belles perspectives.» Un gros coup pour l’institution, donc, qui tombe à point nommé, «au moment où toutes les maisons [les CDN, ndlr] voient leurs marges artistiques restreintes» et «où le réseau de coproduction fond comme neige au soleil».

Candidat si...
Cette parution est aussi un gros coup pour l’homme, dont le troisième mandat de trois ans expire à la fin de l’année. La procédure, édictée par une circulaire de 2009 du ministère de la Culture, voudrait que le poste soit remis en concurrence au terme, justement, de ce fatidique troisième mandat. «Une procédure pipeau», selon Pitoiset, qui objecte qu’elle n’a jusqu’à présent guère été appliquée dans les autres Centres – sauf à Limoges. L’appel à candidatures aurait dû être lancé fin mars, mais comme il n’y a, dit-il, «plus de Ministre», élection présidentielle oblige, il lui a paru «urgent d’attendre». Contraint d’assurer une sorte d’“interrègne”, le voilà condamné à gérer les affaires courantes et à tenter de «mobiliser les équipes sur un premier semestre 2012-2013 sans production», en espérant que les recettes permettront, à lui ou à son successeur, de faire la bascule et de lancer des créations au second semestre. Où l’on devine entre les lignes qu’il aimerait poursuivre l’aventure... Mais pas à n’importe quel prix. «Il y a une vie en dehors de Bordeaux, lâche-t-il. Mon désir est conditionné par la nature du projet, la définition d’un contrat d’objectifs clair pour le lieu et l’ambition de se redonner les moyens de la création.» En ligne de mire, les «divergences de vue au sein de la mairie», où les «querelles florentines dignes de la cour des Médicis» entre le Cabinet, le Secrétariat général et la Direction des affaires culturelles peinent à dégager une ligne claire en termes de choix de politique culturelle. La Région, qui a dû baisser les subventions, ce qui va nuire, selon lui, surtout aux compagnies – «on va le voir à la prochaine édition de Novart». Mais c’est l’État qui en prend le plus pour son grade : «Ces cinq dernières années ont été une catastrophe absolue, qui ont mis le spectacle vivant à genoux.» Gel de 6 % sur les crédits de la culture, coupes budgétaires, hausse de la TVA... Le membre actif du Conseil national du Syndeac n’a pas de mot assez dur pour vilipender ceux qui sont à ses yeux les responsables de la situation actuelle. Et pourraient le décourager de continuer. En attendant, l’an prochain, le TnBA devra patienter jusqu’à l’automne 2013 pour voir la prochaine création de Dominique Pitoiset. Un «Cyrano de Bergerac» de Rostand avec son ami Philippe Torreton, qui sera créé en février au TNB de Rennes. «Mais pas du cape et d’épée, promet-il, il y aura de la prise de risque.» Et ça, la prise de risque, Pitoiset connaît. •       Sébastien Le Jeune

«Alternatives théâtrales» est en vente à la Machine à lire et la librairie Mollat, qui organise ce soir, à 18h, une rencontre avec Dominique Pitoiset dans ses locaux du «91», rue Porte-Dijeaux.