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Luke : « Une colère froide » PDF Imprimer Envoyer
Lundi, 19 Octobre 2015 06:00

Thomas Boulard, la tête pensante de Luke, était en fin de semaine dernière dans sa ville, Bordeaux, avec entre les mains le tout nouvel album du groupe, le 5e, l’énergique « Pornographie ». Et avec en vue sa tournée qui passera fin novembre par le Rocher de Palmer, à Cenon. Entretien.

 

Des murs de guitares et cette voix éminemment reconnaissable : pas de doute, c’est du Luke, avec une production plus moderne, très subtile…
Oui, j’espère que vous avez senti un peu de changement. En effet, j’ai essayé de revenir à une certaine fraîcheur, très « La Tête en arrière » : aucun snobisme dans l’écriture, une sortie des habitudes… Un album pas forcément fait pour plaire ou rentrer dans une esthétique. Et en même temps, j’ai modestement tenté un rock en français 2.0. Pas changer pour changer mais, comme l’époque a changé, on ne peut plus écrire comme au début des années 2000. Finalement, c’est comme un cri continuel que j’entretiens depuis le début.

Mais si la colère contenue dans les premiers disques était sans doute assez “post-ado”, aujourd’hui il y en a encore, mais c’est une colère froide. Une forme de mépris – sans cynisme –, pas contre les gens mais contre cette époque risible, contre ce monde qui s’est complexifié, radicalisé. Peut-être parce qu’en vieillissant, j’en comprends mieux les rouages.

Vous dessiniez quelques pistes nouvelles avec votre album solo l’an dernier. Pourquoi ce retour “aux sources” ? Comment vous y êtes-vous pris ?
Ces dernières années, j’avais eu comme une impression de m’être éparpillé. Sans aucun regret mais, à un moment, ça devenait compliqué. Comme une sensation de devenir ce qu’on dénonce, de devenir irréel. Or, quand on est dans le petit artisanat du rock en français, être déconnecté, ça c’est mortel. Avec l’album solo, j’ai beaucoup appris sur moi-même, ça a nettoyé pas mal de choses en moi. Ce qui a permis à Luke de se recentrer sur ce qu’on est vraiment, ce qu’on sait faire de mieux.

Cet album, on l’a mûri en vase clos par intermittence, depuis trois-quatre ans déjà. Avec les musiciens et les producteurs, on s’enfermait des jours et des jours dans un petit studio sans fenêtre, avec juste une grille d’aération. Je leur balançais des images, des choses entre « Akira » et « La Société du spectacle » de Guy Debord, pour vous donner une idée… Et à base d’impro, l’idée était de faire une bande-son de tout ça, en épurant toute trace de pathos, de sentimentalisme, même les trop-pleins de mélodies. En essayant aussi de garder un rapport disque/scène fluide. Côté écriture, ça a été de la correction permanente, pour faire de la phrase droite, avec des mots de tous les jours. Non pas pour enlever toute poésie mais pour éviter la “poétique” – ça, c’est devenu un discours, une usine à fabriquer du rêve et à rendre les gens malheureux.

« Je veux du rock », criez-vous d’entrée. Puis en fin d’album, il y a cette phrase : « Le rock est mort et vous avec ». Et entre les deux, vous brocardez pas mal l’electro « musique d’ascenseur ». Que faut-il entendre par là ?
Entendons-nous bien : j’aime bien l’electro, celle des free parties. Mais pas celle d’“ascenseur”, qui ne dit rien, ne pense rien. C’est essentiellement une musique de bourgeois. Elle est le symbole d’une période technophile qui, sous des airs sympathiques, mutile les gens jusque dans leur vie intime, plus que jamais auparavant. Mais pas autant que le rock au sens large : regardez H&M, c’est devenu comme une pub rock géante. Il n’y a guère que le rap à avoir mon admiration : issu au départ de classes plus défavorisées, il exprime encore quelque chose en français. Et pas du français esthétique, juste pour faire joli…

Le rock en français, depuis les années 1980-2000, les Noir Désir, Deportivo, Eiffel, ça s’est perdu – c’est presque anachronique d’en faire encore aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que les classes populaires sont en train de mourir, elles n’ont plus les moyens de produire leurs représentants musicaux. Ce qui me révolte, c’est que les autres artistes dans la musique ne soient pas révoltés par notre époque. Que certains disent « la politique, l’économie, je m’en fous », ça veut dire que, la vie, ils s’en foutent. Dans les autres arts, on en a une conscience aiguë – regardez un Houellebecq, par exemple. Nous, les musiciens, c’est comme si on n’allait pas s’asseoir à la table des négociations. Par individualisme crasse, ou juste pour oublier…

Or, pour aller moins mal il faut comprendre et, pour comprendre, il faut ressentir. Rien de mieux qu’un artiste pour ça. C’est pour ça que je fais encore des disques, pour coller à la réalité de cette époque, sans calcul, avec sincérité, pour porter le ressentiment d’une génération silencieuse. Si un disque comme ça existe, c’est pour qu’on entende ce cri – que la musique d’en bas puisse atteindre les décideurs d’en haut. Jamais un disque n’aura autant été un bulletin de vote. C’est pour ça que je crois que le rock en français va bien à cette époque. • 


Recueilli par Sébastien Le Jeune

Luke, « Pornographie » (Jive Epic / Sony Music), dans les bacs. Le 24 novembre au Rocher de Palmer, 20h30, 21-25€. www.lerocherdepalmer.fr

Photo : « Ce qui me révolte, c’est que les autres artistes dans la musique ne soient pas révoltés par notre époque. » © Richard Dumas

 

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