Si on avait eu à parier un jour si un type réussirait à décrocher le prix Fnac avec un polar sur Roland Barthes, on n’aurait sans doute pas misé un kopeck dessus. Laurent Binet a réussi ce petit exploit avec « La septième fonction du langage ». Et ce n’est pas volé : intelligent, drôle et vif, et bougrement bien écrit. La classe pure.


Si Binet n’évoque pour vous que les Bidochon (très respectables également), retenez bien ce nom : Laurent Binet n’a que 43 ans et devrait marquer la littérature française s’il continue sur sa lancée. Ce que laissait suspecter son Goncourt du premier roman pour son précédent, « HHhH », à savoir que ce type a un sacré talent, il le confirme ici plutôt deux fois qu’une. Tandis qu’en face, pour ce convoité Prix Fnac, il y avait du beau linge – rien que parmi les finalistes, Delphine de Vigan (qui l’avait déjà eu), Alexandre Seurat, Sorj Chalandon et Thomas B. Reverdy...

Un triomphe obtenu avec ce qu’on peut désigner comme un ovni littéraire à la “baseline” toute simple : « Qui a tué Roland Barthes ? » Pas très glamour ni très grand public, dit comme ça. Mais si les lecteurs et libraires de la Fnac l’ont autant adoré, c’est sans doute parce que Binet a su se mettre à la hauteur du lecteur lambda. C’est intelligent sans être intello à outrance – pas besoin d’avoir bac +5 ni, comme lui, être prof agrégé de lettres modernes. C’est érudit mais jamais ennuyeux, bien au contraire. En fait, même si on n’est pas familier du milieu germanopratin [de Saint-Germain-des-Près, le quartier des écrivains à Paris], non seulement on en apprend beaucoup mais on se délecte de ses intrigues et guerres intestines présentées de manière si fantasque.

Le secret de ce tour de force, c’est le commissaire Bayard, pas plus savant que vous et moi. C’est lui qui est chargé d’enquêter sur la mort de l’intellectuel, en 1980, juste après un déjeuner avec François Mitterrand. Était-ce accidentel ou voulait-on le faire taire, lui qui avait trouvé cette 7e fonction du langage qui permettrait de manipuler les gens à l’envi ? Pour démêler les fils dans ce milieu qui lui est totalement étranger, Bayard va faire appel à un jeune thésard, Simon Herzog – une paire déjà bien cocasse, embarquée dans des rebondissements farfelus, de Bologne à Venise via les USA... Et Paris, bien évidemment, où Binet se fait à malin plaisir à tailler des costards à des Foucault, Deleuze, Sollers (qui en prend pour son grade)... et même BHL jeune.

L’une des meilleures surprises de la rentrée littéraire, assurément ! •

Sébastien Le Jeune

Laurent Binet, « La septième fonction du langage » (Grasset), en vente à la Fnac, 22€

Photo : De sa plume moqueuse, Laurent Binet arrive à rendre abordable Barthes, le milieu littéraire parisien, la philo, la linguistique... Un sacré tour de force. © J.-F. Paga / Grasset