Implantée depuis un an et demi à Bordeaux, la jeune compagnie de danse néoclassique TIMEless Ballet recrée demain vendredi au Casino-théâtre Barrière « Voyages I II III », l’intégralité du triptyque solo de son fondateur, Sohrâb Chitan. Entretien.

D’origine iranienne, Sohrâb Chitan est passé par l’école de Maurice Béjart puis par le prestigieux Alonzo King Line Ballet de San Francisco. De retour en France, c’est « par nécessité » que le danseur-interprète s’est fait chorégraphe. Demain, au Casino, il donne l’ensemble de ses « Voyages » dans une mise en scène remaniée, entre néoclassique empruntant au contemporain, textes et vidéo.

A-t-on affaire à trois solos réunis ou à un seul ?
Disons que c’est un grand solo de 50 minutes, en trois parties. Il est divisé par des projections vidéo car le spectacle est très intense physiquement, cela me donne quelques minutes pour me changer et respirer. Mais pour moi, ça reste une entièreté, tenue par un fil conducteur : les mots. Pour la première partie, ceux du philosophe perse Rûmî ; pour la deuxième, ceux de la chorégraphe Martha Graham, un extrait de son autobiographie où elle comparait la rigueur de la danse à celle de la vie ; pour la dernière, des poèmes de Rimbaud.

Pourquoi une telle importance du verbe dans votre création ? Pour faire passer un message ?
Souvent, quand je vais voir un spectacle de danse, je suis touché par la musique, par la danse et ses codes, souvent précis dans le cas de la danse classique et, pourtant, en tant que spectateur, les mots me manquent. Pour créer « Voyages », je suis donc allé puiser dans des sources personnelles – Rimbaud que j’admire depuis mon adolescence, Rûmî en lien avec mes origines iraniennes par mon père… Le message principal est une ode à la vie et à l’amour, que chantent chacun de ces trois auteurs pourtant d’époques et d’origines très différentes. Leurs mots et ma danse disent l’amour, la paix, les relations entre les hommes et leur aspiration au divin, à la recherche de l’au-delà. En regard, les interludes vidéo font entendre des déflagrations de bombe atomique ou les pleurs de femmes après les massacres de Sabra et Chatila au Liban [deux camps de réfugiés palestiniens à Beyrouth-ouest attaqués en 1982, ndlr]. Face à ce que l’homme peut faire de pire, opposer ce qu’il peut faire de plus beau.

Mais au-delà de ces grandes idées philosophiques, le message reste très simple et le spectacle accessible à tous ! Je l’ai d’ailleurs présenté à des enfants de moins de 10 ans et ils se sont montrés très réceptifs – ils avaient beaucoup de questions mais le message est passé, du pain bénit pour moi.

Pourquoi avoir choisi de vous poser à Bordeaux ? Et pourquoi le Théâtre Barrière ?
C’est un hasard, dû en partie à ma mère installée dans la région. Elle m’a suggéré de tenter ma chance par ici et, très vite, le directeur d’alors du Liburnia à Libourne, Dominique Beyly, a soutenu la création de « Voyages III ». Tout s’est enchaîné rapidement : j’ai vite eu l’attention et le soutien de la Ville de Bordeaux, de nombreux contacts avec l’Oara et l’Iddac. Tous m’ont dit que la région manquait de compagnies de danse, en particulier dans l’esthétique néoclassique que je pratique.

Quant au Casino, il est très impliqué avec les acteurs locaux et il a pris un risque énorme en m’intégrant à sa programmation afin que je puisse me faire un public ici. Ce jeudi soir, la générale sera captée en vidéo avec l’aide de Station Ausone, le portail cultuel de la librairie Mollat, en vue de rechercher par la suite des dates de diffusion. Ce soir et demain seront donc décisifs pour l’avenir de « Voyages » – un vrai tremplin, je l’espère ! •

Recueilli par Sébastien Le Jeune

Demain, 20h30, 20€. Tél. 05 56 69 49 00 ou www.lucienbarriere.com

Photo : « Voyages I II III », une danse néoclassique intense avec en fil rouge les mots de grands auteurs © Pierre Planchenault