Est-ce bien un roman ? Il y a tant de la vie réelle du rappeur Gaël Faye dans cette histoire d’enfant malmené par la barbarie de la guerre civile au Burundi et du génocide rwandais. Et c’est justement ça qui le rend si bouleversant. Un Prix du roman Fnac amplement mérité.

D’aucuns voient chez lui une ressemblance avec Stromae. Une plume, une appétence pour la chanson et le hip hop (avec un album remarqué en 2013), un physique aussi... Et des origines rwandaises par sa mère, mariée à un Français à Bujumbura, la capitale du Burundi, ce « Petit Pays » de la région des Grands Lacs en Afrique au cœur du récit.

Des origines rwandaises Tutsi plus précisément, la même ethnie, minoritaire au Burundi et pourtant au pouvoir depuis 30 ans avant l’amorce de transition démocratique de 1992... qui va virer au drame : assassinat du nouveau président hutu Ndadaye par des militaires tutsi, massacre de civils tutsi par des Hutu, répression de ces derniers par l’armée. Comme au Rwanda voisin où un conflit ethnique similaire prendra des dimensions plus sinistres encore, la spirale infernale de la violence est en marche.

Dans cette tourmente, le héros/alter ego de Gaël Faye montre déjà à 10 ans de la ressource et une belle force de caractère. « J’ai demandé à ceux que j’aime de m’appeler Gaby au lieu de Gabriel, pour choisir à la place de ceux qui avaient choisi à ma place », écrit-il à sa correspondante française. Mais quels choix lui laissera ensuite l’histoire, la “petite” histoire – ses parents qui divorcent – et la grande Histoire ?

La guerre civile arrive sans crier gare, trop grande pour ses yeux d’enfant. Enfin, pas tout à fait : « Comme Papa ne voulait pas qu’on s’occupe de politique, j’écoutais ailleurs quand on parlait. » Mais Gaby-Gaël n’est pas dupe, il entend tout, retranscrit tout avec des mots si simples qu’ils en sont désarmants. Du haut de ses 10 ans, lui aussi vit, subit à son tour l’angoisse et l’incompréhension, la colère et la peur. Viendra bientôt l’heure de l’évacuation, celle du départ vers la France où un autre destin l’attend, celui de l’étranger, de l’exilé, du migrant.

Mais tout ça, pas avant que l’effroyable se produise : l’habitude. « Certains soirs, le bruit des armes se confondait avec le chant des oiseaux ou l’appel du muezzin, et il m’arrivait de trouver beau cet étrange univers sonore, oubliant complètement qui j’étais. » L’habitude, ou la résilience... “Bienvenue” dans le monde des adultes. •

Sébastien Le Jeune

Gaël Faye, « Petit Pays » (Grasset), en vente à la Fnac, 18€

Photo : Faye raconte les guerres civiles du Burundi et du Rwanda avec des yeux d’enfant. Poignant. © J.-F. Paga / Grasset