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Les Foulées littéraires, au rendez-vous des champions PDF Imprimer Envoyer
Jeudi, 29 Novembre 2012 22:47

Courir ou penser, pourquoi choisir? Les Foulées littéraires de Lormont sont là pour montrer que lettres et sport font bon ménage, avec force animations, rencontres et débats, et en tête d’affiche un grand penseur de notre temps, Albert Jacquard, généticien et philosophe. Entretien. 


Orwell disait dans «The Sporting Spirit» (The Tribune, 1945), «le sport, c’est la guerre sans les coups de feu». Vous aussi êtes connu pour votre position contre la compétition en général. 

En effet. Tout cela me vient d’une idée, d’une vision de l’humanité : les humains ont ceci de spécial que la rencontre des autres est essentielle dans leur construction. Or, on peut voir cette rencontre de deux manières. Soit on voit l’autre comme un adversaire, quelqu’un contre qui ont déploiera ses forces pour le dominer. Soit on a le pendant inverse, l’émulation, où l’on considère l’autre comme quelqu’un de différent et, s’il est meilleur, on s’en réjouit et on s’en sert pour se construire soi-même.



N’est-ce pas la compétition qui amène le plus grand dépassement de soi? 

Je ne crois pas, non. Il faudrait au contraire qu’on se batte pour une société où on serait systématiquement heureux d’avoir en face de soi quelqu’un de meilleur. Où on prendrait conscience que, si l’autre a quelque chose de mieux, il peut le partager, nous l’apporter. Et pour le meilleur, rien de tel que d’aider l’autre pour le faire progresser, et progresser soi-même. C’est pour cela que je milite contre les notes au lycée, contre les palmarès sportifs et les Jeux olympiques. C’est peut-être un point de vue qui bouscule des idées fermement établies, mais je crois que rien ne vaut cette notion de fraternité : tous frères et tous différents. À quoi ça sert de l’emporter sur l’autre ? À quoi ça rime de vouloir à tout prix détruire l’autre ?



L’émulation et le dépassement de soi, Pierre de Coubertin avait cela en tête en proposant «Citius, Altius, Fortius» [plus vite, plus haut, plus fort] pour devise olympique. Pensez-vous que son message a été dévoyé par l’esprit de compétition?

L’autre devise de Coubertin, c’était «L’important n’est pas de gagner, c’est de participer», tu parles, tout le monde s’en fout! Plus personne ne veut aller «plus vite» pour se dépasser mais pour dépasser l’autre, l’ennemi. Le dopage, par exemple, en est une preuve. Mais il me paraît inévitable tant qu’on vit avec cette notion de compétition. Je suis certain que le Tour de France serait quelque chose de merveilleux si on le faisait sans classement. Pour moi, les classements, comme celui de l’École polytechnique, n’ont aucun sens – et les Allemands l’ont bien compris en supprimant les classements dans leurs écoles vus comme des «preuves de perversion»…



Des équipementiers sportifs n’hésitent pas à appeler des philosophes à leur rescousse, comme avec le «ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort» de Nietsche. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Cela est intimement lié à une hypothèse dévoyée issue du darwinisme, de l’évolution, selon laquelle la compétition, la loi du plus fort, serait profondément ancrée en l’être humain. Je crois qu’il est temps de renoncer à l’idée que l’évolution de l’humanité s’est faite dans une lutte permanente contre l’autre. Je suis persuadé que les meilleurs progrès, la meilleure évolution, ont été obtenus quand les Hommes ont lutté ensemble, contre l’extérieur, leur environnement.

Mais ces discours sont significatifs d’un état d’esprit répandu partout en ce moment, ce permanent éloge de la compétitivité – un mot que je n’aime pas qui nous mène dans le mur. Au niveau mondial, il faudra toujours l’emporter sur les Allemands, les Japonais, puis qui sais-je encore ? C’est sans fin ! Un jour on se heurtera à la finitude de la planète et ce sera la fin de l’humanité. J’ai peur que l’on s’en rende compte trop tard. C’est pour cela que je tire la sonnette d’alarme.


Pour rester dans la veine nietschéenne, des généticiens, et autres scientifiques unis derrière la barrière du «transhumanisme» imaginent qu’on pourra bientôt créer des «surhommes» – et certains y voient déjà des applications dans le sport. Cela ne vous effraie-t-il pas ?

Non, ça me fait ricaner! Ces gens-là n’ont rien compris! Si on se regarde du point de vue des primates, nous ne sommes pas des «super-primates», nous sommes juste des primates avec d’autres performances. Alors qu’est-ce qu’un surhomme? Sur quels critères choisirait-on d’améliorer l’humanité ? Quel progrès serait-ce d’avoir des surhommes qui courent le 100m en 8, 7, 6 secondes? Qui peut décider qu’il vaudrait mieux que l’Homme de demain ressemble plus à Hussain Bolt qu’à Albert Jacquard? Il faut arrêter, on marche sur la tête! • 


Recueilli par Sébastien Le Jeune


Photo : Pour Albert Jacquard, 86 ans, l’esprit de compétition, la compétitivité «nous mènent droit dans le mur». © David Balicki

Un festival de grands noms
Plus encore que pour la très belle première édition, les Foulées littéraires alignent les grands noms : côté sportifs, on croisera Raymond “Poupou” Poulidor, la tenniswoman Catherine Tanvier, le boxeur Stéphane Ferrara, le rameur Michel Andrieux, le perchiste Romain Mesnil, le basketteur des JSA Boris Elisabeth-Mesnager, l’ancien sélectionneur de l’équipe de France Michel Hidalgo ou encore la reine du badminton français, Hongyan Pi (photo de Une).
Côté auteurs et journalistes, le poète Patrice Delbourg, l’écrivaine folle de cyclisme Stéphanie Polack, le Prix de Flore 2008 Tristan Garcia, Benoît Heimermann («L’Équipe Magazine»), Éric Fottorino («Le Monde»), Éric Valmir (France Inter), Éric Naulleau (M6), Laurent Jaoui (Infosport) ou encore notre confrère de «Sud Ouest» Yves Harté.
Aujourd’hui est essentiellement consacré aux jeunes et à la remise du Prix des littératures sportives, samedi et dimanche aligneront rencontres littéraires et sportives de 14h à 20h à l’Espace du Bois Fleuri, plus des projections, des expositions, des ateliers et des jeux pour enfants.

Programme sur www.lesfouleeslitteraires.com

 

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