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Bachar Mar-Khalifé, la joie et l’ombre - l'interview en intégralité PDF Imprimer Envoyer
Mercredi, 03 Juillet 2013 07:00

Premier à s’élancer ce soir, au Parc Palmer pour l’inauguration du Festival des Hauts de Garonne, Bachar Mar-Khalifé, multi-instrumentiste hors-pair d’origine libanaise distillant un étonnant mélange d’electro, de chanson et de musique orientale.

Après le très remarqué «Oil Slick» fin 2010, il nous est revenu en mars avec «Who’s Gonna Get The Ball From Behind The Wall Of The Garden Today?», toujours chez InFine, un album à la fois puissant et délicat.

Mais le fils du fameux joueur de oud Marcel Khalifé et frère de Rami Khalifé, l’un des deux pianistes du trio Aufgang, est surtout un incroyable phénomène sur scène. La basse au pied gauche, la loop station (pédale de boucles, ndlr) au pied droit, des percus, un piano et un micro, toute la richesse de ses morceaux est restituée dans un live solo à ne pas manquer. Entretien. 



Plusieurs titres du nouvel album étaient déjà présents, sous une forme différente, sur le premier. Pourquoi toutes ces reprises ?

Depuis le départ de mon projet solo, en 2010, j’ai l’impression d’être en tournée perpétuelle. J’y consacre beaucoup de temps et d’énergie, et à chaque concert, la forme est différente. La forme que prennent mes disques vient de là. «Oil Slick» avait juste pour but d’inscrire des compositions qui me trottaient dans la tête depuis pas mal d’années – et finalement ça a donné un vrai disque. En revanche, le deuxième était voulu, planifié. Si certains titres sont restés, c’est parce qu’ils ont évolué avec le live. Pour moi, rien n’est une forme “finale”. À un moment j’arrive à une forme qui me hante suffisamment pour que j’aie envie de l’enregistrer – une étape nécessaire pour que je puisse me libérer. Mais tout est continuité : cette étape, je n’y suis plus déjà. Je serai toujours, je l’espère, dans cette démarche de création et recréation perpétuelle.



«Marée noire» du premier devient encore plus sombre en «Marea Negra» dans le second : vous y glissez les mots du poète syrien Ibrahim Qashoush, qui chantait contre le régime «Il est temps que tu dégages Bachar» [el-Assad, ndlr]. Il a été retrouvé mort les cordes vocales arrachées…

Ces deux versions ne sont pas si éloignées que ça et correspondent à la même démarche. Ce texte-là porte en lui la noirceur d’un motif au piano qui me suit dans la tête depuis très longtemps, dans les aspects les plus sombres de ma vie. Ce motif allait bien avec le texte de cet auteur et son histoire terrible. Il correspond à l’état qu’a suscité en moi cette violence extrême. De celle qu’on essaie de regarder et qu’on ne comprend pas. Ces morts, ces haines, ces jalousies, trop grandes pour un seul homme.



Est-ce à dire que vous êtes un chanteur engagé, à messages ?

En fait je ne comprends pas très bien ce que peut être une musique à messages… en dehors des hymnes nationaux ou militaires. Pour moi, dans toute chose il y a un message. Mais je ne fais pas une musique pour changer les choses. Tout ce que je peux dire c’est que ce que je fais, ça sort de moi, de mes émotions. ça, c’est mon engagement, je m’engage à délivrer ce que je suis pleinement - et c’est déjà beaucoup. Derrière l’engagement, on met souvent le politique. J’aime répondre que «Marea Negra» est aussi engagée que «Machins choses» [de Serge Gainsbourg, qu’il reprend en duo avec Kid A au chant]. Pour moi, c’est la chanson engagée par excellence, par son érotisme, la provocation des mots, ses sens différents sur lesquels on peut jouer.


Faire, c’est s’engager. Je lutte pour rester vivant, je m’engage envers la vie, parce que trop souvent on oublie de vivre, d’être conscient à chaque seconde. C’est une lutte permanente. Ma musique correspond pour moi à des instants où je me reconnecte, où je suis en connexion totale avec le moment, avec ce qui est en train de se faire. Je n’ai rien contre la «musique d’ascenseur» mais c’est juste de la musique d’attente, et c’est dommage d’attendre la vie – c’est tellement d’énergie qui part dans le vide…



Ça ne s’en ressent pas du tout dans la musique et pourtant, on a l’impression que la noirceur est essentielle à votre inspiration. Seriez-vous une sorte de poète maudit ?

(Petit rire) En fait, l’inspiration me vient parfois par fulgurance mais, souvent, elle est le fruit d’une longue période de réflexion et de travail. Les thèmes, souvent, je les traîne depuis une dizaine d’années, c’est une matière qui est là, à ma disposition comme le peintre a sa palette, ses couleurs, ses pinceaux. Et à un moment les évidences s’imposent. Je n’ai pas de formule, de recette, je ne me dis pas d’avance «je vais faire tel genre avec tel instrument». En général, c’est à partir d’un état de vide et de solitude que naissent les choses les plus cohérentes. Pas la solitude dépressive, non, la solitude sereine, celle qui est rendue jouissive grâce à l’amour des gens qui nous entourent. 


Alors, oui, j’ai pu être d’humeur plus sombre. Quand j’étais jeune, j’étais plus souvent solitaire, plus facilement inspiré par la noirceur, à la façon d’un "poète maudit", comme vous dites. Mais j’ai tendance à croire, à comprendre maintenant, que l’énergie du bonheur peut être au moins aussi forte que l’énergie du désespoir. Pour moi, écrire, c’est se connecter à une certaine vérité, aux gens, au bonheur aussi… Que le sujet soit noir ou joyeux, je pense toujours à la danse. Dans «Marée noire», par exemple en dépit de ses textes sombres, c’est finalement l’énergie, la danse qui prend le dessus.



On vous avait souvent vu auparavant en groupe, dans des projets ambitieux comme le Bace Quartet d’Aleksandar Petrov ou en trio avec votre père et votre frère. Vous n’avez jamais voulu avoir votre propre groupe ?

Au départ, j’avais ce fantasme, cette envie de monter un groupe. L’idée me tient à cœur, pour ce partage affectif, amical – cet entourage avec lequel on sait où on va sans avoir à trop se parler. Je connais et j’aime bien cette sensation. Mais je n’ai pas voulu forcer les choses. Pour ce projet actuel, intuitivement je savais qu’il fallait que je commence comme ça. Je m’impose souvent des choses difficiles et, encore maintenant, j’ai beaucoup – trop – besoin d’être dans le moindre son que je produis. Ce projet, c’est moi, et je n’ai pas encore trouvé quelqu’un avec qui partager, passer cette énergie sur scène. Mais ça ne va sûrement pas tarder. À mesure que j’avance, que je développe un certain calme, une certaine acuité, je ressens le besoin d’être entouré. À la fin, tout sera parti de cette petite chose créée seul. Et c’est très important pour moi de partir de ce rien.



Vous reviendrez à Bordeaux à l’automne, juste avant la date d’Aufgang, le groupe inclassable (electro-classique ?) dont fait partie votre frère Rami. Vous avez été, au début, impliqué dans l’aventure. Vous ne regrettez pas de ne plus en faire partie ?

Aufgang, c’est une grande et longue histoire. Dedans, il y a Rami, mon frère de sang, et les autres, mes frères aussi. Aymeric Westrich, le batteur, est un ami d’enfance, on a fait le Conservatoire supérieur ensemble, dans la même classe de percussions avec Michel Cals. Ensemble, on a monté plusieurs groupes, rien de très formel, mais déjà avec cette touche electro. 
Et puis Rami est parti à New-York, à la Juilliard School of Music. C’est là-bas qu’il a rencontré Francesco Tristano. Tous les quatre, déjà, on a monté un format Aufgang «Extended», les prémices du groupe actuel. Il n’a qu’un seul concert à son actif, mais il débordait déjà d’énergie, et il posait les bases de notre «famille». Parce que c’est ça pour moi, Aufgang, ça fait partie de moi, c’est mon groupe (rires).

Même si maintenant ils sont dans une phase où ils n’ont plus besoin de personne, je suis toujours heureux de pouvoir participer à leurs discussions, à leur construction. Ils sont vraiment en train de créer leur histoire à trois, leur univers : ils empruntent un chemin difficile mais je les soutiens à 100% et je les aime profondément. 
Mais je n’ai pas de regret – en fait, c’est avant tout un choix. C’est dans l’intérêt de tous qu’un projet trouve sa forme. Aufgang a trouvé la sienne, qui est très instrumentale. Pendant ce temps, moi, j’ai senti le besoin d’une cassure avec tout ce que j’avais pu faire par ailleurs, un besoin de m’exprimer, par la voix, le chant, l’écriture. C’est aussi pour cela que ce projet démarre en solo, parce que c’est très difficile pour moi – par pudeur, par introspection – de partager les mots avec des gens proches. 



Quels sont vos projets pour la suite ?

Cette formule solo va m’amener à tourner jusqu’en 2014. Je prépare en ce moment une résidence pour la développer plus encore, et en faire un spectacle plus complet, plus visuel, avec des lumières, de l’image, de la mise en scène, pour accentuer encore l’immersion dans chaque morceau. Et, par ailleurs, je travaille en ce moment sur des musiques de films. C’est un univers que je découvre et que j’apprécie beaucoup – entrer dans des mondes, des images, des personnages, c’est assez proche de ce que je fais déjà. • 


Recueilli par Sébastien Le Jeune


Les Hauts de Garonne, 4 soirs de concerts gratuits
Bachar Mar-Khalifé + Ilhan Ersahin’s Istanbul Sessions
Electro-world (France-Liban), jazz world (Turquie). Parc Palmer (Cenon), ce mercredi soir.
Defunkt Neu Soul + Cie Auguste Bienvenue
Funk (US), danse et contes (Burkina). Parc du Bois Fleuri (Lormont), demain jeudi.
Shigeto + Ondatrópica
Electro-hip hop (US), musiques colombiennes réarrangées à la sauce Will “Quantic” Holland. Domaine de Beauval (Bassens), jeudi 11.
Five In Orbit + Femi Kuti
Jazz-swing (France/Catalogne), afrobeat (Nigéria). Parc du Castel (Floirac), vendredi 12.

Ouverture des sites et du village dès 19h30, concerts à partir de 20h45.

www.lerocherdepalmer.fr/hautsdegaronne


Photo : «Pour moi, écrire, c’est se connecter à une certaine vérité, aux gens, au bonheur aussi…»
© Joaquim Olaya - Rework By David Normant

 

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